Avant elle, il n’y en avait eu qu’une qui avait officié dans le secteur professionnel : Christine Hanizet, entre 2015 et 2017. Aujourd’hui, Aurélie Groizeleau ouvre un nouveau chapitre de l’arbitrage féminin français en décrochant un contrat semi-professionnel.

« C’est incroyable quand on voit le statut de mes consœurs Sara Cox, Hollie Davidson, Joy Neville où c’est intégré complètement, où un vrai développement a été réalisé autour d’elles au sein de leur fédération. Aujourd’hui les choses sont en train de bouger et c’est plutôt positif pour le développement », dit-elle.

Depuis le 1er septembre 2021, Aurélie a donc franchi une nouvelle étape qui la place dans la droite lignée de ses illustres prédécesseuses. « Alhambra (Nievas, ndlr) et Joy (Neville, ndlr) sont pour moi les plus représentatives de l’arbitrage féminin au niveau mondial parce que ce sont elles qui, médiatiquement, ont vraiment démocratisé ça, elles ont aussi participé à de grands événements sur le circuit masculin, notamment Joy sur les matchs EPCR. Ça a mis en avant la pratique de l’arbitrage féminin », assure la Rochelaise.

Une blessure qui met fin à son rêve…

Aurélie est née dedans. Avec des parents mordus de rugby, il a bien fallu suivre, pas le choix. « Je suis d’une petite ville où il n’y avait pas d’autres possibilités d’activité. C’était en fait le seul sport collectif avec le football, donc le choix était vite fait. Quand on grandit dans le rugby, on ne se dirige pas trop vers le foot », rigole-t-elle aujourd’hui.

Au Pôle Espoir à 15 ans avec Elodie Poublan, elle est vite repérée et est sélectionnée en équipe de France de rugby à XV et à sept. « C’était cinq sélections avec France A qui existait encore à l’époque ; c’était en 2007 », rectifie-t-elle. Pas encore mûre pour la Coupe du Monde de Rugby 2006 à Edmonton, au Canada, elle commence à rêver à la suivante, quatre ans plus tard à Londres.

« La Coupe du Monde était mon objectif. Clairement je me voyais faire une carrière de joueuse dans le haut niveau ; mon objectif, c’était celui-là. Et des soucis de santé ne m’ont pas permis de continuer le sport de contact. Il a fallu faire un choix, contre mon gré. Quand on est jeune, c’est un peu difficile à accepter. »

Ces soucis de santé, c’est une rupture des ligaments croisés. Déchirure, coup d’arrêt brutal de sa carrière qui s’annonçait prometteuse. Aurélie entre dans un tunnel sombre dont elle a du mal à voir le bout.

« C’est un peu comme lorsqu’on est confronté à un décès. Il a fallu faire le deuil », admet-elle aujourd’hui.

« J’avais l’impression d’être en haut d’une montagne avec les stages en équipe de France, j’avais la possibilité de faire les Six Nations, et tout s’est effondré du jour au lendemain. Il a fallu accepter la situation et ça a été un long processus. Ça m’a pris quasiment quatre années pour vraiment passer à autre chose. »

… mais qui ouvre de nouvelles perspectives

Quatre ans pour se remettre. Jusqu’au jour où elle tente l’arbitrage, sans objectif particulier si ce n’est celui e continuer à garder les pieds bien ancrés dans le rugby.

« Et puis j’ai atteint la Fédérale 3 et j’ai eu l’honneur de faire ma première touche dans le Six Nations », raconte-t-elle. Une échéance qui l’effraie dans un premier temps.

« J’ai eu peur parce que j’avais déjà perdu ce rêve-là en tant que joueuse. En fait, j’ai eu peur qu’il se passe quelque chose, peur que ça se reproduise à nouveau. Mais quand j’ai entendu La Marseillaise, j’ai eu les larmes aux yeux. Ça a été le déclic. Et à ce moment-là je me suis dit qu’en fait je pouvais atteindre à nouveau ce niveau-là. Ça a été un peu un combat contre la personne que j’étais avant. Aujourd’hui j’ai fait clairement le deuil de ma vie de joueuse et je suis pleinement arbitre. »

Pourtant ses débuts n’étaient pas rêvés. Petite jeunette d’un mètre 68 pour 62 kg, elle a eu un peu de mal à s’imposer. « Mes premières expériences étaient en région toulousaine avec quelques derbys de clochers. Et du coup ce n’était pas tout drôle. On avait les papys avec les bérets, un peu machos… C’était un peu difficile. Mais ça endurcit vite et on est moins gentil après », sourit-elle.

Très vite, Aurélie montre deux facettes : un côté ferme et exigeant et un côté souriant et serein en même temps. Un exercice dont elle se sort à merveille.

« Beaucoup me disent que lorsque c’est moi qui arbitre, les joueurs osent peut-être moins râler. Peut-être apaise-t-on plus vite les situations. Peut-être que notre côté féminin fait qu’on a beaucoup moins de situations conflictuelles à gérer sur le terrain », dit-elle.

Objectif Coupe du Monde de Rugby

2019, 2020, 2021, Aurélie a arbitré sur les trois dernières éditions du Tournoi des Six Nations féminin. Elle devait faire ses débuts en ProD2 en France en septembre, mais a été appelée pour arbitrer plusieurs rencontres sur le tournoi de qualification européen en Italie en vue de la Coupe du Monde de Rugby 2021 qui sera jouée en 2022 en Nouvelle-Zélande.

« Mes débuts en ProD2 seront pour le deuxième bloc au mois d’octobre. C’est une belle avancée parce que le niveau d’exigence du secteur professionnel est important. Dans l’axe de progression et dans le but d’aller vers la Coupe du Monde de Rugby, c’est un beau challenge. », assure-t-elle.

« La Coupe du Monde de Rugby est vraiment l’objectif numéro 1, ce n’est pas un secret. On est quelques-unes dans le panel. Ils ont priorisé l’arbitrage féminin ; il ne faut pas rater le bon wagon.

« On va avoir pas mal de compétitions qui vont nous emmener jusqu’à la Coupe du Monde et tous ces tournois vont nous préparer à atteindre cet objectif et aussi à préparer notre vie de groupe. Là, nous allons vivre quinze jours en Italie avec des arbitres qui postulent également à la Coupe du Monde. La vie de groupe est aussi un moment important parce que quand nous serons en Nouvelle-Zélande, on vivra deux mois tous ensemble.

« C’est un rêve, en plus en Nouvelle-Zélande qui est un peu le pays du rugby ! Ça fait rêver les Français. Pour ma part, ce serait le plus gros événement que je pourrais vivre dans ma carrière. C’est beaucoup d’envie et d’excitation. Repoussé d’un an, j’ai vraiment hâte d’y être… et déjà au mois de mai pour être dans la liste ! »

L’exigence d’Aurélie est reconnue par ses pairs. Que ce soit pour ses qualités d’arbitre… ou d’élève. « Je prends des cours d’anglais chaque semaine », dit-elle, consciente que ce langage universel du rugby peut l’aider au quotidien.

« Je détestais ça à l’école ; j’avais un niveau médiocre et je suis partie de très, très loin. Nous, en tant que Français, parler anglais n’est pas toujours facile, mais aujourd’hui, j’arrive à parler anglais sans réfléchir. Certes mon niveau n’est pas parfait, mais au moins les gens me comprennent, malgré l’accent. Je pense que je m’améliore et je vais continuer à m’améliorer. »

Aurélie Groizeleau met toutes les chances de son côté pour tenter d’être retenue dans le panel des arbitres de la Coupe du Monde de Rugby. Semi-professionnelle, elle s’est même bien débrouillée pour se dégager du temps sur l’exploitation agricole familiale. Avec ses parents, elle élève des pigeons.

« Il n’y a pas vraiment de saison pour les pigeons ; ils produisent toute l’année. Mais il y a une saison liée à la consommation : c’est Noël. Et comme on prépare Noël quatre mois avant, ça tombera pile pendant la Coupe du Monde », rigole-t-elle. Elle a manqué une Coupe du Monde de Rugby en tant que joueuse. Elle fera tout pour participer à une autre, même en tant qu’arbitre.

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