La scène se passe sur le bord de la pelouse du Stade Louis II à Monaco, lors de la deuxième et décisive journée du World Rugby Sevens Repechage. Camille Grassineau ne joue pas. A la fois une surprise et une crainte. La faute à une fissure à la voûte plantaire qu’elle traîne depuis un petit moment et que là, inopportunément, s’est réveillée. Un coup dur mais qui n’empêche pas les Françaises de se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo en terminant le tournoi de repêchage invaincues.

Cette mésaventure ne semble pas susciter plus de doutes que ça. « Elle sera prête lorsqu’il le faudra », tranche Lionel Abadie, le kiné bienveillant de l’équipe de France. Le grand chauve a parlé et ce qu’il dit n’appelle aucune contradiction. L’homme est du genre positif, confiant. Pour preuve, un mois après, Camille trotte sur les terrains du Japon. Lionel avait vu juste. « Je mets tout ce que je peux dans mon pied pour que ça tienne », sourit Camille.

Serial marqueuse

Avec Fanny Horta et Chloé Pelle, Camille Grassineau est la plus capée de cette équipe de France : 30 tournois sur le World Series, ça crée une force (33 pour Fanny et 32 pour Chloé). C’est la seule des trois qui a marqué le plus de points (305) et d’essais (61) sur le circuit mondial ; seule Shannon Izar compte plus de points (402) dans cette équipe de France mobilisée pour les Jeux olympiques.

Mais c’est sur un autre tournoi que Camille – qui se destine au métier si précieux de coach en écologie dans la vie civile – a marqué un essai qui l’a fait entrer dans l’histoire. Vous vous souvenez de ce petit bout de nana, haute de son mètre 65, les cheveux relevés en boule sur la tête, lancé à pleine vitesse sur la pelouse du Deodoro Stadium. C’est le tout premier match olympique de rugby à sept et Camille s’apprête à marquer le tout premier essai olympique de l’histoire, face à l’Espagne. C’est celui-là qui a marqué les esprits.

« Oui avec du recul c’est sympa, mais sur le moment je ne l’avais pas pris en compte, je ne m’en étais pas aperçue », raconte-t-elle à World Rugby. « Il y avait un peu de chance aussi étant donné que les Jeux commençaient par le tournoi des filles. Plein de choses ont fait que les Françaises ont commencé. »

Les retrouvailles avec le Canada

Cinq ans après, Camille a bien failli ne pas vivre une deuxième olympiade tant que le chemin pour se qualifier pour Tokyo 2020 a été long et difficile. 5e du World Series 2019, la France a échoué à se qualifier via le tournoi européen à Kazan quelques semaines plus tard avant de se rattraper sur la troisième et ultime option à Monaco les 19 et 20 juin 2021.

« On n’a pas choisi le chemin le plus simple et surtout le plus court », sourit Camille. « On avait à cœur de démarrer tous les tournois de cette saison (Dubaï, Madroid), de préparer le tournoi de qualification olympique et par la suite on avait les Jeux en ligne de mire. On se doutait qu’on avait un coup d’avance sur les autres équipes, mais il y avait aussi cette inconnue car il y avait pas mal d’équipes qu’on n’avait jamais jouées. Mais on connaissait nos forces et il a fallu s’appuyer dessus. »

Le job a été fait à Monaco pour avoir le droit de figurer dans la Poule B face au Brésil, aux Fidji et… au Canada. Vieilles connaissances que ces cousines d’outre-Atlantique qui leur a tant fait de mal et notamment en quart de finale de Rio 2016. Ces retrouvailles, ce sera le 14e match du tournoi olympique de Tokyo et le dernier de la poule (vendredi 30 juillet à 9h30, heure locale) qui déterminera si les Bleues poursuivront en quart justement.

A Rio donc en 2016, le Canada a battu la France 15-5 en quart de finale. Cruel. Fanny Horta, Lina Guérin et Camille, présentes aujourd’hui à Tokyo, étaient sur la pelouse à ce moment-là. « On entame très bien ce match-là, on mène la première mi-temps, on prend un essai juste avant la pause (5-5, ndlr) et la deuxième mi-temps est complètement en faveur des Canadiennes (par des essais de Bianca Farella et Ghislaine Landry, présentes elles aussi à Tokyo cette année, ndlr). Effectivement, on le garde en mémoire », se souvient Camille.

Cette défaite a inauguré une série de 15 matchs manqués contre le Canada, toutes compétitions confondues, certes avec un écart de points très réduit au fil du temps. Mais cette série noire a pris fin à Cape Town en décembre 2019 (victoire 14-12 des Françaises en match de poule). « Le Canada, c’est désormais 50% de victoires d’un côté, 50% de victoires de l’autre », souligne Camille Grassineau qui rappelle que, cinq ans après, les deux équipes ont intégré une nouvelle génération de joueuses.

Le groupe s’est renforcé

« On a connu un peu toutes les étapes avec ce groupe », dit-elle. « On a une équipe assez profilée puissance physique aujourd’hui et si à un moment donné il peut y avoir un petit manque en termes de collectif, il y a des individualités telles qu’on peut s’appuyer dessus à tout moment. Notre équipe a évolué. Les résultats qu’il y a maintenant, c’est aussi le fruit d’un travail de toutes les générations d’avant. Il ne faudra pas perdre ce fil conducteur. »

Ce groupe a grandi, s’est forgé sur ses déceptions, sur ses frustrations – 6e à Rio, trois victoires (contre l’Espagne par deux fois et le Kenya) et trois défaites (contre la Nouvelle-Zélande, le Canada et les USA) – et a su revenir de loin pour s’imposer aujourd’hui. « A un moment donné, il faut savoir se faire confiance et c’est la force de ce groupe-là : on sait ce qu’on vaut et c’est à nous de tout mettre en œuvre au bon moment », assure Camille qui a hâte de gommer le souvenir de Rio 2016.

« Rio ne s’est pas passé comme on le souhaitait. J’avais l’impression qu’on avait loupé le coche à ce moment-là, j’étais très déçue de notre résultat. Après, ça reste un bon souvenir. Mais je pense qu’on est armées pour faire mieux », assure Camille qui, au fil des ans, a emmagasiné une expérience qui lui est bénéfique aujourd’hui.

« Avec le World Series, on est habitué à avoir des compétitions avec beaucoup de monde, dans des stades grandioses, avec de grandes affluences. C’est vrai qu’à Rio il y avait peu de monde et là ce sera un peu pareil ; ça ne va pas trop nous dépayser », rigole-t-elle. « En termes d’organisation, nous sommes habituées à avoir des tournois de grande ampleur. Mais ce sont tous les à-côtés, le village olympique, le fait de croiser les plus grands athlètes ; c’est ça qui est hyper fort sur les Jeux olympiques et c’est vraiment ce que je garde des Jeux de Rio. »

La joueuse de 24 ans originaire de Bergerac a su tirer les leçons du passé et notamment la plus importante dans ce genre de compétitions internationales : « Ne pas se laisser déborder. On est habitué à gérer la pression sur le World Series et c’est ce qui va nous aider pour ce genre de compétition. Ce sera juste de bien gérer cette pression », conclut-elle.

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