Et de trois pour Kevin Rouet, entraîneur de l’équipe féminine du Canada depuis mars 2022. La victoire du 23 septembre aux Fidji (24-7) couronnait un troisième test victorieux (sur trois) de préparation à la Coupe du Monde de Rugby 2021 après une première victoire contre l’Italie en juillet, suivie d’une autre contre le Pays de Galles en août.

Au-delà du résultat, ce sont les conditions extérieures qui semblent avoir été le plus utiles au groupe sur sa route vers la Nouvelle-Zélande. « Aux Fidji on a joué sous un déluge, on a été malchanceux encore car on joue beaucoup sous la pluie », sourit Kevin Rouet.

« On avait passé huit jours extraordinaires plein soleil et on a eu la joie d'avoir la journée déluge aux Fidji. Donc on va dire qu’en termes de confiance, c’était un match intéressant. On s'était dit que ça allait être compliqué, que ça n’allait pas être joli... mais qu’on allait le prendre comme un match de Coupe du monde.

« Notre objectif, c’était de ramener le bonus offensif sur ce match-là et gagner. Les filles ont vu ça comme ça ; ça n'a pas été extraordinaire mais on a réussi à marquer nos quatre essais et on gagne sur un score de 24 à 7. »

UNE PREPARATION IDEALE AUX FIDJI

Entre les troisièmes mondial et celles qui pointent toujours à la porte du Top 20, cette rencontre n’a pas eu d’incidence sur le classement mondial féminin World Rugby présenté par Capgemini tant l’écart entre les deux nations est important.

« Les Fidji sont classées 21e mondial mais leur classement ne reflète pas ce qu'elles sont, c'est juste qu'elles n'ont pas assez joué à cause du Covid », nuance l’entraîneur de l’équipe du Canada qui a trouvé là une excellente opposition pour préparer au mieux ses filles au défi qui les attend.

« Mais ça a permis aussi à certaines filles de jouer, celles qui n’avaient pas eu beaucoup d'opportunités de jouer ces derniers temps, donc ça a été quand même super intéressant en termes de préparation. Mais le match en tant que tel n'a pas été d'une grande qualité, on va dire », ajoute le coach qui voyait cette ultime rencontre de préparation comme « déterminante » pour mieux cerner son groupe.

« C'est toujours déterminant dans le sens où on va passer deux mois ensemble », précise-t-il. « J'avais quelques validations à faire sur certaines athlètes, leur faire confiance pour rentrer dans un groupe de 32 joueuses, ce qui est quand même beaucoup. Car un groupe de 32, pour qu'il vive, il faut que tu connaisses un peu tes derniers éléments. 

« Je pense que ça m'a permis un peu de valider avec les entraîneurs tous ces petits points là et ça a permis aux filles d'apprendre à jouer sous la pluie, ce qui n’est pas toujours facile. Surtout en Nouvelle-Zélande, ça peut arriver. On est dans des périodes où ça va pouvoir arriver encore une fois, qu'on joue un match ou un quart de finale, une demi-finale sous des trombes d'eau comme ça. »

Les Fidji étaient pour les Canadiennes l’endroit idéal pour se regrouper avant les six semaines de compétition qui les attendent. « C'est un pays ultra accueillant », confirme l’ancien ingénieur de formation devenu entraîneur principal. « En termes de température aussi, ça reste similaire à la Nouvelle-Zélande. On a passé une semaine où on a un peu profité aussi, parce qu’on sait que ça va être deux mois qui vont être longs, pour se regrouper et faire des activités extra rugby à côté. Donc c'était plutôt pas mal. C'était une bonne transition vers la Nouvelle-Zélande. »

Le natif de Bordeaux, qui a pris la suite de Sandro Fiorino au printemps dernier, dirige ses entraînements en anglais, même si un tiers de son effectif est francophone, mais parfaitement bilingue. « Je coache en anglais majoritairement, mais quand je fais mes entretiens individuels avec les francophones, on parle en français… plutôt en québécois, on va dire », confirme-t-il.

TROIS ADVERSAIRES PIEGE

La première rencontre du Canada dans la poule B sera contre le Japon le 9 octobre au Northland Events Centre à Whangarei, un adversaire qui présente des gabarits plus légers que les Nord-Américaines, mais qui promet un choc important d’entrée de jeu.

« Ça va jouer comme les garçons c'est à dire très structuré, très rapide, très fort en défense sur tout ce qui est grattage », analyse Kevin Rouet. 

« Par contre, ce sont des guerrières très fortes au combat, plaquages bas, ça gratte beaucoup. Collectivement, c’est un jeu qui commence à être très libéré parce qu'ils commencent à valoriser le rugby féminin au Japon aussi. »

Il faudra attendre le 16 octobre pour la deuxième confrontation, cette fois contre l’Italie au Waitakere Stadium, à Auckland. Une équipe dont le Canada se méfie énormément.

« L'Italie est une équipe qui nous a un petit peu surpris chez nous au Canada en juillet », se rappelle l’entraîneur. « Je pense qu'on n’était pas encore prêt. L'Italie c'est un groupe que je regarde souvent parce que je regarde aussi beaucoup le 6 Nations. Je regarde tout ce qui se passe en Europe.

« L'Italie est un groupe de joueuses qui jouent ensemble depuis plusieurs années et il n'y a pas forcément eu énormément de changement dans cette équipe-là. Elles sont beaucoup habituées à jouer ensemble alors que pour nous, ce n'est pas forcément le cas. C'est une équipe difficile à jouer, qui joue beaucoup après contact, qui est imprévisible, qui peut te faire mal.

« La preuve, c'est qu'elles ont gagné contre la France dernièrement (26-19 le 9 septembre à Biella, ndlr) avec une équipe un peu remaniée, mais quand même. Elles sont allées chercher la France. C'est un groupe très accrocheur. Quand tout se passe bien pour elle, elle peut faire mal. »

Puis la troisième rencontre aura un air de déjà-vu face aux Etats-Unis le 23 octobre à Auckland. « On les connaît très bien, on les joue depuis plusieurs années… On se connaît par cœur en fait, c'est compliqué à dire », relève Rouet qui reste néanmoins lucide. « C'est des matchs qu'on peut forcément perdre, on se joue souvent. En fait, je trouve que cette Coupe du monde va être plus équilibrée qu'elle n'a jamais été. »

LA VALEUR DU SACRIFICE

La route pour les quarts de finale sera donc semée de pièges que le Canada devra tout faire pour éviter et tenter de faire mieux que la 5e place obtenue lors de la dernière édition en 2017 en Irlande. Dans toute son histoire, la seule fois que le Canada a été aux portes de la gloire, c’était en 2014 en France où les Canadiennes s’étaient inclinées 21-9 en finale contre l’Angleterre.

Décrocher une victoire en Coupe du Monde serait non seulement historique, mais revêtirait aussi un caractère tout à fait singulier.

« J'ai des filles qui font beaucoup de sacrifices personnels dans leur vie pour pouvoir faire partie de cette aventure, ce qui n'est pas forcément le cas ailleurs », développe Kevin Rouet.

« Dans d’autres fédérations, les filles sont payées pour être là. Nous au Canada, on n'est pas du tout dans cette situation alors qu'on est super bien classé comme pays. Si tu regardes dans le top 10 mondial, on doit être un des plus petits budgets. Maintenant, même le Pays de Galles, l'Irlande, l'Écosse, l'Italie tout le monde commence à mettre de gros moyens. Nous ça commence aussi.

« Donc la valeur du sacrifice, la valeur du travail sont d'autant plus importants. C'est au contraire une motivation supplémentaire de se dire qu'il y a peut-être des fédérations qui sont plus chanceuses que nous, mais nous on est un pays travaillant, on est un pays qui connaît la valeur du sacrifice.

« Et puis ça se voit quand elles s'entraînent. Quand tu as quitté ton travail et que tu perds de l'argent à venir ici, tu sais pourquoi tu es là. C'est un avantage et un désavantage, ça peut être les deux. Mais pour nous, on le prend comme un avantage finalement de ne pas avoir tout facilement.

« Si on a un titre au vu de notre situation, ça aura une grande valeur, les filles le savent. Le sacrifice qu'elles ont fait depuis des années... En plus, ça fait cinq ans que certaines attendent, parce que la Coupe du Monde a été retardée, donc forcément elles ont fait des sacrifices pendant cinq ans.

« En plus ces derniers mois, je leur en ai beaucoup demandé, comme jamais. Ça a été compliqué parce qu'il fallait qu'elles s'entendent avec leur travail... On a des filles qui travaillent, qui ne sont pas à temps plein. Donc forcément, c'est toujours un peu compliqué. On reste avec des joueuses qui de toute façon ont quitté leur travail ou faisait une sabbatique pour aller à la Coupe du monde.

« Mais de manière générale, ça a très bien répondu et je suis très fier de la réponse que les filles ont eu quand je leur ai demandé de faire encore plus de sacrifices parce qu'elles l'ont fait et je suis sûr que ça va payer à la fin. »