Si certains se demandent comment Paule Ella Guei a pu rapidement imposer le rugby féminin en Côte d'Ivoire, la réponse est simple : c'est qu'elle est inarrêtable. Elle est intarissable aussi lorsqu'elle évoque son parcours et qu'elle raconte comment le rugby féminin a éclos dans ce coin d'Afrique de l'Ouest. Elle est devenue incontournable enfin aux yeux de beaucoup.

Car Paule n'est pas née dans le rugby. Elle l'a découvert en 2010 après son bac lorsqu'elle était étudiante à l'Institut du Sport d'Abidjan, grâce à son prof de sport. Paule jouait alors au handball. « Je suis arrivée un soir à l'entraînement pour voir si j'allais aimer », raconte-t-elle. « Et là, j'ai vu l'ambiance qui régnait et je me suis dit : waouh ! Je n'avais jamais connu quelque chose de semblable dans le hand. Et je suis revenue à chaque fois, juste pour regarder l'ambiance. Et à force que je regarde, mon prof m'a proposé d'essayer et c'est comme ça que je suis venue au rugby. »

Cette ambiance qui l'a bouleversée, Paule a du mal à la décrire tellement elle l'a ressentie fortement, au plus profond d'elle-même. « C'était quelque chose de très fraternel. Ça ne s'explique pas, ça se vit. Tu vois des gens qui, après s'être empoignés dans un match, reviennent avec le sourire, se saluent, se mettent ensemble, s'excusent même de ce qu'ils ont fait pendant le match ! Et après, tout le monde se réunit autour d'un pot. Ça m'a vraiment touchée et c'est comme ça que j'ai commencé à prendre goût à la chose et que j'y suis restée », dit-elle, des étoiles dans les yeux.

Sa place devait être à la cuisine plutôt que sur un terrain

Mais plus que dans le jeu, c'est dans la maîtrise des règles que Paule est vite repérée. « Le même prof qui m'avait guidée vers le rugby m'a ensuite proposé de faire la promotion du jeu au niveau de l'arbitrage. Après avoir voulu que je m'essaie au jeu, il m'a proposé de m'essayer à l'arbitrage. Mais ça n'a rien à voir avec le jeu ! C'était vraiment compliqué pour moi dans un premier temps, mais il m'a rassuré en me disant que j'étais une grande dame, que j'avais un grand cœur... et un fort comportement », sourit la jeune fille.
Alors Paule ne se laisse pas démonter et relève le défi. Elle commence à apprendre avec les jeunes, puis est envoyée chez les seniors où elle débute sur la touche. Mais c'est lorsque la fédération décide de la lancer « au centre » que les choses ne vont pas se passer aussi simplement qu'elle l'espérait.

« Entourée de costauds et moi toute petite ? Franchement, je ne pensais pas que je pourrais y arriver », s'esclaffe-t-elle. « La première fois, le résultat n'a pas été ce que j'attendais parce que les hommes, lorsqu'ils ont vu une femme au centre en train de faire le match, ils n'étaient pas contents. Ils se demandaient ce que je faisais là. J'ai essuyé des moqueries. Les hommes disaient : 'qu'est-ce qu'elle va nous apprendre à nous qui sommes experts dans le rugby. Ce n'est pas la peine, la place des femmes c'est dans la cuisine, dans ses assiettes !' Les supporters riaient et se moquaient. En fait, ils venaient juste par curiosité me regarder. »

Mais à force d'encouragements de ses entraîneurs, de détermination et de debriefing de chacun de ses matches pour s'améliorer, Paule a réussi à s'imposer. « Une fois, après un match, des jeunes filles se sont approchées et elles m'ont dit : 'grande sœur, on a vu ton parcours et malgré tout ce qui se dit, tu n'as jamais baissé les bras, tu ne t'es jamais découragée, tu es toujours venue. Comment tu fais ? On aimerait être comme toi, prendre part au rugby des femmes, être des arbitres.' » Alors, ce souffle lui a donné des ailes. Cette histoire a déclenché la deuxième étape de son aventure.

Des sections rugby dans tous les établissements scolaires

En octobre 2020, lorsque Rugby Afrique lance la déclinaison de la campagne de promotion du rugby féminin initiée par World Rugby, les Inarrêtables, sur le thème « Essayez de nous Arrêter », les fédérations se mobilisent pour trouver les bonnes ambassadrices chargées de propager la bonne parole.

La fédération de rugby de Côte d'Ivoire trouve en Paule Ella Guei la candidate idéale. La prof de sport avait jusqu'alors tenu à rester dans son secteur, à 45 km de la capitale Abidjan, venant arbitrer ses matches en ville avant de repartir juste après dans sa province. Mais son statut d'Inarrêtable a tout changé.

« Ça m'a vraiment boosté. Je ne savais pas que je pouvais faire autant de choses », assure-t-elle. « Aujourd'hui, en tant qu'Inarrêtable, je sillonne tous les établissements scolaires primaires et secondaires, j'installe dans toutes les écoles, collèges et lycées des sections rugby car le rugby doit commencer à bas âge, je rencontre les proviseurs, les profs de sport. Les projets sont en bonne voie. Et à travers mon travail les gens se sont aperçus qu'une commission du rugby féminin existait à la fédération. C'est suite à ça que j'ai obtenu le prix. »

Le prix, c'est le SportsPlus Award qui n'avait jusqu'alors jamais distingué le rugby. En quelques semaines, Paule est ainsi devenue une figure médiatique, le visage du rugby féminin en Côte d'Ivoire. Son dynamisme, sa joie de vivre et sa répartie l'ont rendue incontournable pour faire la promotion du jeu. Ainsi est née quelques semaines plus tard la tournée « Brisez les barrières – Venez jouer au rugby », dans le prolongement du Projet Rugby Côte d’Ivoire, qui l'a emmené dans toutes les villes ivoiriennes.

«  Les gens ne savaient pas que les dames pouvaient aussi jouer au rugby »

« Je voudrais remercier toutes les personnes qui ont initié les Inarrêtables car ça m'a permis de découvrir qui j'étais et ce que je pouvais faire. Aujourd'hui je fais des choses dont je ne me pensais pas capable », lance Paule Ella Guei.

« Je ne m'attendais pas à être reçue comme ça car c'est un sport qui était méconnu dans la population. Les gens ne savaient pas que les dames pouvaient aussi jouer au rugby. Lorsqu'ils ont vu une dame qui étaient autant médiatisée, qui était Inarrêtable, en plus ambassadrice du rugby féminin, ils ont été stupéfaits. Aujourd'hui les femmes viennent nous voir, nous appellent. »

Les émissions de télévision la réclament et Paule savoure car elle peut faire passer son message : non, la place des femmes n'est pas uniquement dans une cuisine. « Je dis aux femmes qu'elles peuvent faire plus que moi, aller au-delà de ce que je fais aujourd'hui. Et en entendant ça, elles se bousculent pour venir apprendre, jouer et découvrir », sourit-elle.

Les projets s'enchaînent pour initier le rugby féminin sur tous les territoires ivoiriens, comme la création d'un tournoi féminin, avec le soutien entier de la fédération et de son président, le Dr Elvis Tano, qui regarde avec envie les progrès réalisés en peu de temps.

« Je ne vais pas voir uniquement les filles pour les emmener au rugby. Je rencontre aussi les clubs pour dire aux filles : ne vous limitez pas à jouer là, essayez de vous fixer des objectifs, de voir grand, de voir haut. Venez jouer mais soyez aussi régulières dans les entraînements. J'ai pu échanger avec les différents coachs et les dirigeants pour booster les filles car jusque là il y avait un laxisme dans les entraînements ; elles manquaient de motivation. L'objectif est de mettre les filles en condition : qu'elles travaillent, mais qu'on crée aussi de bonnes conditions pour mettre en place des équipes élite. La Côte d'Ivoire va participer aux éliminatoires pour les Jeux Olympiques. »

Pour remplir ses nouveaux engagements, Paule Ella Guei a été contrainte d'aménager ses obligations de travail. Prof de sports, elle a changé de ministère de tutelle, passant sous le pavillon des sports plutôt que celui de l’Éducation nationale. « Une équipe au niveau de la fédération va former les éducateurs de qualité pour pouvoir aller vers les enfants », annonce celle qui, en plus, est devenue membre de la sous-commission Communication et relations publiques du Comité consultatif féminin de Rugby Afrique depuis janvier 2021. Un engagement total.

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