Intronisé sous le numéro 143, Richie McCaw est en très bonne compagnie dans le Hall of Fame virtuel de World Rugby avec d'autres légendes du rugby.

Cependant, une chose le démarque des autres : il est le seul joueur à avoir remporté deux Coupes du Monde de Rugby en tant que capitaine.

L'un des meilleurs, sinon le meilleur, troisième-ligne aile de l'histoire du rugby, McCaw a réalisé ce doublé unique lors de deux tournois consécutifs en 2011 et 2015, après deux victoires très différentes en finale contre la France et l'Australie.

Au cours d'un entretien exclusif avec World Rugby alors qu'il se trouvait à Londres avec la délégation néo-zélandaise invitée à assister au couronnement du roi Charles III, les souvenirs de ces rencontres - cette victoire éprouvante 8-7 contre la France en Nouvelle-Zélande et la première finale de la Coupe du Monde Rugby entièrement océanienne à Twickenham quatre ans plus tard - sont revenus à la mémoire.

La finale de Twickenham était la 148e et dernière sélection de McCaw sous le maillot des All Blacks et, comme il se doit pour un joueur qui a connu une brillante carrière de 14 ans, elle s'est terminée en apothéose avec une victoire 34-17 contre l'Australie.

UNE FINALE QUI AVAIT TOUT POUR PLAIRE

« On savait qu'en terminant une Coupe du monde, on allait être soit extrêmement heureux, soit extrêmement déçu, il n'y avait pas de juste milieu. C'était une excellente façon de terminer », se souvient le trois fois vainqueur du Joueur World Rugby de l'année (2006, 2009 et 2010).

« Il y avait un peu de tout dans cette finale. Pendant la première période, nous avons joué un rugby exceptionnel et, encore une fois, comme au début de la finale de 2011 contre la France, le tableau d'affichage ne reflétait pas tout à fait notre domination. Mais nous avons marqué en début de seconde période et j'ai senti que ça pouvait vraiment tourner en notre faveur.

« Tout le mérite en revient aux Australiens, qui se sont accrochés. Et puis nous avons eu un carton jaune, et tout d'un coup, je me suis dit que ça pouvait partir en vrille.

« Vers la fin, une fois que nous avons repris le contrôle du match, plutôt que de prier pour qu'il se termine comme en 2011, je profitais du moment parce que c'était sympa et que c'était assez différent de ce qui s'était passé quatre ans plus tôt. Je me souviens avoir pensé à la fin du tournoi de 2015 : "Pourquoi voudrais-tu que ça s'arrête ? " »

À ce moment-là, McCaw avait 34 ans et avait mis son corps à rude épreuve, si bien qu'il n'envisageait pas sérieusement de mettre ses projets de retraite en suspens.

« La réalité, c'est que les choses n'allaient plus être les mêmes après ça, parce que les gens passaient à autre chose. Et il faut savoir que tout ce qu'il fallait faire pour jouer pour les All Blacks lors d'une Coupe du monde impliquait beaucoup de sacrifices qui devenaient de plus en plus difficiles », admet-il.

« Le sentiment que l'on ressent quand on enfile ce maillot avant de s'engager, quand on entend le public quand on sort du tunnel et après, quand on a fait le job et qu'on est assis dans le vestiaire, ce sont ces moments-là qui me manquent vraiment. 

« Mais dès que le premier coup de sifflet retentit et que vous voyez le premier gros plaquage, vous vous dites : "ooh, qu'est-ce que je suis tranquille de ne plus y être !" »

McCaw sera de passage à Paris pour le très attendu match d'ouverture de la Coupe du Monde de Rugby 2023 entre la France et les All Blacks et reviendra pour les dernières étapes d'un tournoi qui, selon lui, aura eu plus que sa part de rebondissements.

UN TOURNOI PLEIN DE SURPRISES

Chacun des trois derniers tournois a été marqué par des résultats surprenants. En 2011, les supporters tongiens ont coloré la ville en rouge après s'être offert le scalp de la France à Wellington. Mais ce n'était rien comparé à la victoire du Japon - sa première à une Coupe du Monde de Rugby depuis 24 ans - contre l'Afrique du Sud en Angleterre en 2015. En 2019, l'Uruguay a déjoué tous les pronostics en battant les Fidji, pourtant donnés favoris.

McCaw s'attend à ce que la tendance se poursuive, sur un coup.

« Quand on regarde le top 10 du classement, les résultats ont montré que les équipes classées sept, huit et neuf ont la capacité de faire tomber l'un des gros, sur un coup. Mais pour continuer et gagner, il faut le faire trois semaines de suite et je ne suis pas sûr que certaines de ces équipes aient la capacité de le faire », remarque-t-il.

« L'avantage, c'est que toutes ces équipes pourraient se retrouver en quart de finale et faire un véritable carnage. Et si vous obtenez deux ou trois résultats de ce type, ça pourrait ouvrir la porte à quelqu'un d'autre pour qu'il ait un peu de chance et qu'il croie un peu plus qu'il peut y arriver. Je pense que c'est ce qui a rendu la préparation de ce tournoi si intéressante. »

À ce jour, l'Irlande et la France sont les deux premières équipes du classement mondial masculin de World Rugby présenté par Capgemini et cela pourrait bien être encore le cas lors du coup d'envoi du tournoi le 8 septembre.

Vingt ans après que l'Angleterre a remporté la Webb Ellis Cup, il n'y a jamais eu de meilleure occasion pour une autre équipe de l'hémisphère nord d'ajouter son nom à la liste des champions du monde.

Après avoir remporté une tournée historique 2-1 contre les All Blacks, l'Irlande a raflé le Grand Chelem du Tournoi des Six Nations et serait extrêmement déçue si elle ne parvient pas à franchir le cap des quarts de finale pour la première fois.

De même, la France doit tenir ses promesses et se débarrasser de l'étiquette d'éternel second qui lui colle au maillot après trois défaites en finale de la Coupe du Monde de Rugby.

« J'ai vraiment hâte d'y être, pour plusieurs raisons », détaille McCaw.

« Si l'on met de côté mes préférences pour un bon résultat des All Blacks, je pense que l'on peut s'attendre à ce qu'il y ait pas mal de candidats à la victoire.

« On ne sait jamais trop ce qui va se passer. Du point de vue de la Nouvelle-Zélande, dans le passé, on a toujours su que si les All Blacks étaient capables de se rassembler, ils pouvaient faire des miracles, alors qu'après l'année dernière, on s'est dit : "mon dieu, il va falloir faire des progrès pour mettre l'équipe dans le bon sens".

« Du point de vue de l'hémisphère nord, l'Irlande a donné le ton dans le Tournoi des Six Nations et les Français ne sont pas très loin derrière, ce qui rend la situation assez intéressante.

« Il ne fait aucun doute que les gens considèrent que les Français et les Irlandais ont de bonnes chances de l'emporter. »

McCaw pense d'ailleurs que ce pourrait être l'année où l'Irlande se montre enfin à la hauteur lors d'une Coupe du Monde de Rugby.

« Comme nous l'avons constaté ces dernières années, le classement avant une Coupe du monde ne compte pas forcément pour grand-chose.

« Mais si l'on met de côté le classement, j'ai pu voir les Irlandais en Nouvelle-Zélande l'année dernière lors de trois tests, et ils font preuve d'une grande détermination, ils savent qu'ils ont une mission à accomplir.

« La façon dont ils ont remporté la tournée était assez impressionnante et ils ont réitéré leur exploit tout récemment, ce qui rendra la partie intéressante. »

GERER LES ATTENTES

La dernière fois que la France a accueilli la Coupe du Monde de Rugby, en 2007, les attentes étaient trop grandes pour les Bleus. Ce n'est que lorsqu'ils se sont échappés de la « bulle du rugby » et qu'ils se sont rendus à Cardiff pour un quart de finale mémorable contre les All Blacks de McCaw, qu'ils ont pu montrer leur vrai visage.

La France avait défié les pronostics pour s'imposer 20-18 ce jour-là et mettre fin au rêve des All Blacks pour quatre années supplémentaires. McCaw, qui a été capitaine des All Blacks lors de 110 tests, affirme que la douleur de cette défaite a beaucoup contribué à poser les bases de leur victoire à la Coupe du Monde de Rugby en 2011, où l'émotion était plus un soulagement qu'autre chose.

Vingt-quatre ans s'étaient écoulés depuis leur victoire lors du tournoi inaugural en 1987 et attendre aussi longtemps entre deux coupes a été jugé inacceptable par un public passionné de rugby et assoiffé de nouveaux succès.

« En 2007, alors que nous avions dominé la compétition, on s'est sans doute senti arrivés un peu trop tôt, ce qui n'est pas acceptable quand on doit produire pour ce qui est en fait trois matches à élimination directe d'affilée », admet-il.

« Même si nous avions une équipe suffisamment bonne pour gagner et que nous avions un plan de jeu, une stratégie et tout le reste, ce que nous avons fait de mal, c'est que nous n'avons pas pris en compte ce qui se passe si les choses tournent mal - les blessures, les décisions (de l'arbitre), etc.

« Vous pouvez avoir les meilleures intentions du monde lorsque vous entrez sur le terrain, mais qu’est-ce que vous faites si tout ne se passe pas comme prévu ?

« Avant 2011, la pression était grande sur les joueurs et les entraîneurs qui avaient la chance d'être encore là, mais nous étions juste heureux de pouvoir tenter notre chance une nouvelle fois.

« Nous avons dû faire appel à toute l'expérience acquise en 2007 pour arriver au bout cette fois. On dit qu'on ne peut pas compter que sur la chance, mais il y a parfois un élément qui va dans notre sens et il faut le prendre.

« Vous pouvez craindre et espérer que vous allez juste bien jouer et penser que ça ne va pas se jouer sur un rebond ou sur une ou deux techniques individuelles mais, en fait, c'est pour ça que c'est si génial de gagner, vous devez faire face à ces moments (imprévisibles) et c'est ce que nous avons fait. »

QUAND EDDIE JONES EST AUX COMMANDES

Ayant réussi à porter le poids des attentes sur ses épaules, la Nouvelle-Zélande a enchaîné en 2015 contre une équipe australienne dont la plupart des gens considéraient qu'elle avait déjà réussi son mondial, rien qu'en arrivant là.

Et s'il y a une leçon que McCaw a apprise avec le temps, c'est de ne pas prendre les Wallabies à la légère, même après une année où ils n'ont remporté que cinq de leurs 14 tests - dont une défaite inédite face à l'Italie - et où ils ont changé d'entraîneur.

McCaw a peut-être mis la main sur la Bledisloe Cup plus que n'importe quel autre capitaine de l'histoire, mais il pense que l'Australie, surtout avec le retour d'Eddie Jones à la tête de l'équipe, pourrait créer la surprise.

« Eddie Jones, quelle que soit l'équipe qu'il prend en charge, provoque généralement des changements assez rapides qui font rebondir l'équipe, et il fera probablement de même avec les Aussies.

« On peut penser qu'ils ne sont pas à leur place en ce moment, mais ils ont cette faculté unique de pouvoir à chaque fois créer la surprise. »