Ce n’est pas parce qu’on a peu de temps qu’il faut brûler les étapes. Et le nouveau binôme à la tête du XV de France féminin – Gaëlle Mignot et David Ortiz – le sait très bien. Si la Coupe du Monde de rugby en Nouvelle-Zélande s’était jouée en 2021 comme ce devait être le cas, la situation aurait été différente. Un nouveau cycle s’enchaînait jusqu’à l’édition suivante quatre ans plus tard.

Mais le Covid a tout décalé, la RWC2021 s’est jouée à l’automne 2022 et la prochaine échéance est désormais… dans un peu plus de deux ans maintenant, en 2025. « Euh oui, là c'est extrêmement court », sourit Gaëlle Mignot qui vient d’arriver aux responsabilités.

« Là, on est à l'aube du Tournoi des Six Nations, donc on va dire qu’on est déjà dedans. Il nous restera deux Tournois des Six Nations et deux tournées d'automne avant la Coupe du Monde. Je crois que oui, ça va aller à une allure qu’on ne maîtrise même pas. La Coupe du Monde, c’est littéralement demain, donc il faut se lancer dans le projet et il faut y aller à fond. On n'a pas trop le temps de tâtonner. Même si ce tournoi va permettre de poser des bases, il faut qu'on rentre dans le vif du sujet. Donc on redouble d'efforts dès maintenant. »

Un premier stage de préparation a été organisé en février à Capbreton et un deuxième juste avant le début du Tournoi. Deux rendez-vous importants pour faire une revue d’effectif, voir où en sont les filles qui vont rejouer ensemble pour la première fois depuis la Coupe du Monde de Rugby 2021 en Nouvelle-Zélande.

« On sent les filles qui ont hâte de repartir de l'avant. Je pense que tout le monde n’a pas été satisfait du rendu de la Coupe du Monde avec cette troisième place, même si, au final, on passe pas loin puisque ça se joue à pas grand-chose sur la demi-finale. Malgré tout, on n'est pas passé.

« Mais je pense que tout le monde a digéré un petit peu la déception, que tout le monde a envie de redémarrer quelque chose de nouveau. Voilà, c'est un nouveau projet, c'est une nouvelle identité qui va se créer. C'est des nouvelles joueuses qui arrivent et ça donne envie. Ça donne un petit côté alléchant et un petit côté excitant que tout le monde a envie de partager. »

DE LA DETERMINATION POUR REBONDIR

Dans ce contexte, Gaëlle Mignot peut apparaître comme la personne ressource la mieux à même de se relever et passer à autre chose. Elle, la talonneuse emblématique aux 70 sélections (sa première sélection était d’ailleurs lors de l’édition 2010 en Angleterre contre l’Ecosse), elle si présente lorsqu’elle est devenue capitaine du XV de France entre 2014 et 2017, nommée deux années de suite (2015 et 2016) parmi les Joueuses World Rugby de l’Année. Elle qui a vécu trois Coupes du Monde en tant que joueuse, plus une quatrième en tant qu’entraîneure adjointe… et quatre défaites en demi-finale.

« On va dire que je connais un petit peu ce sentiment-là, même si c’étaient des contextes différents », confie Gaëlle à World Rugby. « C'est vrai que quand on a perdu contre les Black Ferns en demi-finale de cette Coupe du monde, c'est vrai que j'étais bien placée pour savoir ce qu'elles ressentaient. J'ai tout de suite essayé d'aller de l'avant, de leur dire qu'il y avait une troisième place à aller chercher, qu'il fallait terminer sur une victoire et je les ai accompagnées, j'ai compris ce qu’il se passait en elle.

« Je sais ce qu'elles ont vécu et aujourd'hui, le Tournoi est pour moi le moment de repartir de l'avant et de se servir de ce qui s'est passé à cette Coupe du Monde comme une expérience - parce que forcément, ça fait grandir - et de se dire que l'on va continuer de grandir, continuer de progresser. J'espère que j'espère que les filles vont retrouver beaucoup de plaisir et le sourire sur le terrain. »

On se souvient encore de ses mâchoires serrées sur la pelouse du Kingspan Stadium à Belfast le 26 août 2017 alors que la nuit était tombée. La victoire 31-23 contre les Etats-Unis leur avait permis de repartir avec la médaille de bronze après avoir été défaite par l’Angleterre en demi-finale (20-3). Mais dans son regard ce soir-là on décelait une frustration qui se muait déjà en détermination. Son projet, à un moment ou un autre, sera de devenir championne du monde. Quatre ans plus tard ? Huit ans plus tard. Le moment viendra et elle sera toujours là.

« C'est réellement ce que la fédération, ce que tout le monde souhaite forcément. Et puis, moi aussi, j'en suis à la quatrième trois en tant que joueuse, une en tant que coach. J'espère que celle-ci sera la bonne, bien évidemment », s’anime-t-elle.

« Fabien Galthié disait dans ses interviews : on est tombé, on s'est relevé, on est tombé, on s'est relevé. Oui, en effet, on est tombé… on est même tombé plusieurs fois. Mais la France s’est toujours relevée. Là, aujourd'hui, on va se relever en construisant de la meilleure des manières et en espérant bien être à Twickenham en 2025 pour cette fois ci, la dernière marche.

« C'est se servir aussi de tout ce qui va nous arriver sur notre parcours pour construire une identité, une force. Et déjà, il y a quelque chose qui va arriver. Il y a un match à Twickenham et pour nous, ça va servir comme une répétition de ce qui pourrait se produire en 2025. Donc c'est se servir de tout ce qui va arriver sur notre parcours pour se dire qu’il faudra tout donner jusqu'au bout. »

LE TOURNOI COMME RAMPE DE LANCEMENT D’UN NOUVEAU PROJET

De ce Tournoi, il est clair que le binôme Mignot-Ortiz veut en faire un tremplin pour rebondir dans ce nouveau projet qu’ils ont peaufiné. Quel que soit le résultat, il est déjà considéré comme l’acte fondateur.

« C'est au-delà du résultat sportif », prévient la co-entraîneure de 36 ans. « Bien évidemment, on est tous compétiteurs et on a envie de performer le plus rapidement possible. Mais on n'a surtout pas envie de griller des étapes. On a envie de mettre du contenu, de mettre des bases solides et de tirer un bilan sur le jeu à la fin de ce Tournoi des Six Nations, de savoir quelles sont nos bases, sur quoi on va pouvoir s'appuyer, sur quoi il va falloir encore travailler. Et bien évidemment, si on met tout ça en place, il y a le côté sportif et le côté résultat qui rentrera en jeu. Mais la priorité, c'est vraiment de mettre des bases solides pour notre projet. »

Avec trois matchs à l’extérieur et deux matchs à domicile (Nantes le 16 avril contre l’Ecosse, puis au Stade des Alpes le 23 avril contre le Pays de Galles), le XV de France féminin voudra imprimer sa marque après avoir terminé à la deuxième place derrière l’Angleterre en 2022.

« Un des gros défis va être déjà notre premier match en Italie (le 26 mars, ndlr) contre les Italiennes qu'on a rencontrées en quart de finale (victoire de la France 39-3, ndlr). On sait très bien que ce ne sera pas du tout le même match parce que lorsqu’on les a rencontrées en quart de finale, elles venaient déjà de faire une grosse compétition. Nous, on avait un peu plus d'expérience et on est passé là-dessus. Mais là, ça va être un match sec, chez elles directement. On se méfie énormément de cette équipe qui est vraiment une force en présence de ce Tournoi des Six Nations.

« Après, bien évidemment, il y a les autres matchs qui vont être aussi compliqués à négocier parce que les équipes ont envie de montrer aussi qu'elles ont envie de grandir. Je pense que tout le monde a envie de montrer qu’il faut plus de moyens, qu’il faut plus de choses. Donc à chaque fois qu'on joue un match, elles sont en démonstration de donner le meilleur d'elles-mêmes. Et puis il y aura ce match à Twickenham (le 29 avril, ndlr). On s'attend à une ambiance folle dans un stade qui s'annonce déjà à première vue quasiment avec un record historique d'affluence. Donc on sait que ce sera un très, très gros événement. »