En se rendant en voiture à son premier jour de travail au Cayman Islands Rugby Club, le long de la route côtière qui longe les eaux cristallines de la mer des Caraïbes, Shaunagh Brown s’est sentie sereine.

Elle avait été approchée quelques mois auparavant par Mercedes Foy, responsable du rugby féminin à Cayman Rugby et ancienne talonneuse anglaise, qui recherchait une entraîneure pour aider à développer le programme pour les femmes et les filles dans les îles.

Comme elle n'avait pas pris de décision quant à son avenir de joueuse à l'époque, Shaunagh Brown avait laissé l'idée « en suspens ». Mais après sa retraite des Harlequins et de l'Angleterre en décembre dernier, elle a finalement pris contact avec Foy pour accepter sa proposition.

Au cours des quatre prochains mois, elle travaillera donc six jours par semaine pour sensibiliser le plus grand nombre possible de jeunes femmes et de jeunes filles des îles au rugby, à ses valeurs et aux possibilités qu'il offre.

Shaunagh est consciente qu'il s'agit d'une excellente occasion de faire une pause et de mettre un terme en douceur à sa carrière de joueuse, mais il est clair qu'elle ne s'est pas rendue aux Caraïbes pour passer des vacances.

« Je n'ai jamais été aussi occupée », rigole-t-elle à la fin de sa première semaine de travail. « Ça faisait longtemps que je n'avais pas commencé à 8 heures du matin ! »

Rien qu’au cours de cette première semaine, elle s'est rendue dans quatre écoles, où elle a organisé jusqu'à quatre séances d'entraînement par jour pour les joueuses débutantes.

Ce qui l'a séduit dans cette mission, c'est de faire découvrir le rugby à des personnes qui ne l'avaient jamais pratiqué auparavant.

« Ce qui m'intéresse vraiment, ce sont les personnes qui ont un ancrage fort aux Caïmans et qui sont nées et ont grandi ici, mais qui n'ont pas l'occasion de jouer au rugby et de connaître les possibilités de croissance qu'il offre », ajoute-t-elle.

« C'est une chance d'essayer de toucher ces gens, surtout moi qui suis métisse, avec un teint similaire à beaucoup d'entre eux, un type de cheveux similaire à beaucoup d'entre eux, pour leur faire savoir que le rugby est fait pour eux aussi.

« Je veux être la personne qui continue à expliquer aux gens, à leur rappeler que le rugby peut leur convenir aussi, parce que c'est un sport fantastique. »

UN CHANGEMENT DE VIE

Avant de quitter Londres pour Grand Cayman, Brown et Foy se sont entendues sur un objectif : faire entrer le Cayman Islands Rugby Club dans les écoles publiques. C'est un projet qu'elles ont pu commencer à réaliser dès la deuxième semaine de Brown dans les Caraïbes.

« L’ensemble de Caïman Rugby est complètement en phase avec ce message car pour eux comme pour moi, il s'agit de faire en sorte que plus de gens jouent au rugby », explique Shaunagh Brown.

« En grandissant dans le sud de Londres, je ne savais pas que les écoles privées existaient parce que ce n'était pas mon monde, et donc je ne savais pas que le rugby existait parce que personne n'en parlait dans mon école.

« C'est à l'image de la société qu'il y a tant de talents inexploités dans les écoles publiques. Mais il s'agit d'entrer dans [ces écoles] et de ne pas s'attendre à ce qu’elles viennent à vous, car pourquoi le feraient-elles ? Ils ne voient pas le rugby comme étant pour eux, ils ne se voient pas jouer au rugby.

« Ce que nous pouvons faire, c'est leur faire découvrir le rugby, l'organiser dans leur école, dans leur cour de récréation et leur faire comprendre que c'est un sport fantastique qui peut changer leur vie. »

La vie de Shaunagh Brown a radicalement changé depuis qu'elle a assisté à sa première séance d'entraînement au Medway RFC, il y a sept ans.

Au cours de la période qui a suivi cette soirée fatidique, elle est devenue un pilier des Harlequins dans le Premier 15s, a obtenu un contrat professionnel avec l'Angleterre, a gagné 30 sélections pour les Red Roses et a joué en finale de la Coupe du Monde de Rugby.

Mais elle ne joue plus au rugby, ayant fait sa dernière apparition le 27 décembre.

« C'est dur parce que c’était ma vie, mon identité pendant les sept dernières années. Même au point qu'aujourd'hui, quelqu'un peut me demander : "Comment veux-tu que je te présente ?" », confie Shaunagh.

« Je ne peux plus dire joueuse de rugby. Je dis juste joueuse de rugby à la retraite pour l'instant, mais je ne peux pas m'accrocher à ce titre pour toujours. Je me demande comment je pourrais me présenter. J'ai en quelque sorte choisi 'Change Maker' pour le titre que je me suis donné.

« C'est difficile parce qu'on se dit : "Qu'est-ce que je vais faire d'autre ?" Et surtout parce que j'ai pris la décision de ne pas me lancer tout de suite dans une nouvelle carrière ou de revenir à ce que je faisais avant, c'est-à-dire les pompiers.

« Je me suis posée beaucoup de questions d'ordre financier et je me suis demandée si je pouvais subvenir à mes besoins de cette manière. Et aujourd’hui, je vis la vie comme elle vient pour l'instant.

« Ce que j'apprécie vraiment, c'est d’être libérée des contraintes, d'avoir la liberté, et la liberté d'avoir mon propre rythme. Si je veux faire quelque chose, je peux dire oui, et si je ne veux pas faire quelque chose, je peux dire non et je ne suis plus obligée par contrat de faire quoi que ce soit, ce qui est génial.

« La retraite a été une décision difficile à prendre en termes de qui je suis et de ce que je vais faire ensuite. Mais il y a beaucoup d'avantages et je profite actuellement pleinement de ma retraite. »

EN SONGEANT A LA COUPE DU MONDE DE RUGBY

Brown gardera évidemment d’innombrables souvenirs de sa carrière de joueuse, y compris en Nouvelle-Zélande l'année dernière, lorsque l'Angleterre est passée tout près de remporter la Coupe du Monde de Rugby 2021.

À propos de sa participation à la finale de ce tournoi, devant un nombre record de 42 579 spectateurs à l'Eden Park, elle raconte : « Dans cette ambiance, dans cet environnement, c'était parfait. Nous étions à notre place. »

Le public immense n'a pas compté pour Brown au lendemain de la défaite 34-31 contre la Nouvelle-Zélande.

Au moment du coup de sifflet final, j'ai pensé : "C'est fini, quel gâchis" », admet-elle. « À ce moment-là, j'ai littéralement eu l'impression que tout ça n'avait servi à rien.

« Bien sûr, quand vous quittez le terrain, vous reprenez vos esprits et vos sens et vous vous dites, bien sûr, que tout ça n'a pas servi à rien. Nous avons changé le monde du rugby grâce à ce que nous avons fait ensemble sur le terrain chaque année.

« Mais c'était dur. C'est difficile de penser, même maintenant, à quel point la vie aurait été différente si nous avions gagné... »

(Crédit photo : Caroline Deegan de Cayman Photography)