Élevée dans les années 80, Keisha-Ann Down a grandi dans le rugby. Plus petite, elle passait ses samedis à regarder son père Mervyn jouer ou arbitrer des matches, parfois même dans la même journée.

Mervyn avait émigré depuis Devon jusqu'aux Caraïbes et repartait au Royaume-Uni passer ses vacances en famille. Keisha-Ann l'accompagnait alors dans son club d'origine, le Okehampton RFC. Ses cousins jouaient également dans le même club, mais il n'y avait pas de section féminine à cette époque. « Les femmes s'occupaient du thé », rigole-t-elle. « Je sais que ça peut paraître surprenant aujourd'hui, mais c'est la réalité. »

Ce n'est que lorsque Keisha-Ann est retournée en Grande-Bretagne pour finir ses études et étudier à la Kingston University dans le sud-ouest de Londres qu'elle a eu la chance pour la première fois de chausser les crampons.

« Cette toute petite fille qui s'appelait Helen s'est approchée de moi et m'a demandée si je voulais bien jouer », raconte-t-elle. « Je me suis dit ok et je suis tombée dans un super groupe de nanas. On était une toute jeune équipe et on s'est très, très bien débrouillées. On a pu jouer et on a même battu des équipes d'autres universités qui étaient pourtant meilleures que nous ! »

La tuile

Le climax de sa carrière de joueuse est intervenu en 1998 lorsqu'elle a été sélectionnée pour représenter la Jamaïque aux Îles Caïman. Appelée sur le banc, elle est entrée pour les dix dernières minutes. Mais ce que l'histoire ne précise pas, c'est qu'elle s'était blessée juste avant d'entrer après une échauffement un peu trop poussé.

« Je m'entraînais avec mon père et j'ai voulu lui faire un super plaquage... et c'est là que je me suis tordue la cheville. J'étais dégoûtée... c'était ma seule chance ! », sourit-elle.

Keisha-Ann Down n'a fait que goûter un tout petit peu au niveau international. Après ça, elle a raccroché, passé son diplôme et fait carrière dans l'enseignement. Mais lorsqu'elle est revenue en Jamaïque il y a maintenant six ans, le rugby a recommencé à prendre une grande place dans sa vie.

Elle a fait la connaissance de Jerry Benzwick, le président de la Jamaica Rugby Football Union (JRFU), alors qu'elle assistait à une rencontre locale avec son père Mervyn. Elle lui a proposé de donner un coup de main à la fédération.

« Au départ, je voulais y aller bénévole et j'ai fini vice-présidente », dit-elle. Depuis, le duo travaille en symbiose, partageant une même passion de faire grandir le rugby en Jamaïque, un pays naturellement dédié au cricket et au foot.

De grandes ambitions

En mars 2020, Keisha-Ann Down a été l'une des récipiendaires de la Bourse de leadership pour les dirigeantes octroyée par World Rugby, ce qui lui a permis de se perfectionner, de suivre des cours en ligne sur le management dans le sport, le coaching et la psychologie. Tout ceci dans le but de contribuer à la croissance du rugby jamaïcain.

En septembre, la jeune fille est revenue en Grande-Bretagne où elle a été mise en quarantaine deux semaines avant d'être autorisée à voir son oncle à Devon. Elle en a profité pour frapper plusieurs fois à la porte de la RFU avant d'avoir des conseils et des informations pour en faire bénéficier le rugby dans les Caraïbes. Elle a également travaillé sur un programme rugbystique diffusé sur YouTube, le Women's Rugby Show.

« La Bourse a été une opportunité formidable et qui dit grandes opportunités, dit grandes responsabilités. Et si World Rugby a choisi de miser sur moi, je dois être à la hauteur de cet investissement », assure-t-elle.

« J'ai conscience que c'est une chance pour la Jamaïque et pour les Caraïbes en général car il y en a trois d'entre nous qui ont reçu cette Bourse dans la région. Vous savez, bien souvent on a l'impression que les îles sont mises de côté, donc ça renforce notre fierté. C'est une façon de nous dire qu'ils investissent sur nous parce qu'il y a un immense potentiel de croissance. A nous de le prouver et de le concrétiser. »

Keisha-Ann Down assure qu'elle a redécouvert dans ce nouveau réseau l'esprit de camaraderie qu'elle avait connu lorsqu'elle jouait. Elle espère maintenant qu'elle va pouvoir faire grandir le rugby en Jamaïque en l'intégrant dans les programmes scolaires et qu'il puisse devenir une éventualité de carrière pour les joueurs.

« J'aimerais que le rugby soit enseigné dans les écoles de la même manière que l'est le football. J'aimerais qu'on s'arrache des ballons de rugby dans les magasins », dit celle qui va jusqu'à rêver d'une qualification olympique pour son pays.

« Pour nous et pour moi, je souhaite que le rugby fasse rêver les plus jeunes, qu'ils se disent qu'ils peuvent jouer au plus haut niveau, voire même en faire leur métier. Je pense que dans les dix, vingt prochaines années le rugby sera un sport professionnel en Jamaïque, qu'il sera autant pratiqué que le foot ou le cricket et qu'il sera reconnu. Pas uniquement le rugby jamaïcain, mais le rugby des Caraïbes. »

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