Emmanuel Peyrezabes est responsable de la préparation physique à la fédération de rugby des Pays-Bas, ce qui n'est pas une mince affaire pendant cette période de pandémie. L'ancien maître-nageur et joueur de rugby pro en France a gagné en expérience en Nouvelle-Zélande, en Australie ainsi qu'avec l'équipe de rugby à 7 du Portugal avant de rejoindre la fédération hollandaise.

« J'ai eu beaucoup de chance de tomber sur un groupe de joueurs très engagés et qui se motivaient les uns les autres », explique-t-il. « Les gars ne veulent pas se contenter de décrocher un trophée ; c'est dans leur ADN. Il y a six ans, personne ne croyait qu'ils en seraient là aujourd'hui et pourtant. Parfois les gens prétendent qu'un rêve ne peut pas être réalisé, mais je ne partage pas ce point de vue. C'est au contraire le bon moment. »

Sur la route du Rugby Europe Championship

En 2010, lorsque Dirk Danen a gagné sa première sélection avec les Pays-Bas, l'équipe allait être reléguée dans le quatrième tier de Rugby Europe, la deuxième division de l'European Nations Cup. Dix ans plus tard, l'équipe n'est plus qu'à une victoire d'intégrer le Rugby Europe Championship, soit le plus haut niveau juste après les Six Nations, après avoir été sacrés champions du Rugby Europe Trophy.

L'équipe de Zane Gardiner a remporté ses quatre matches mais n'a pu réaliser le Grand chelem du fait de l'annulation du match contre la Suisse en raison de la pandémie.

Mais la promotion en Rugby Europe Championship devrait être confirmée en cas de victoire contre l'équipe la moins bien placée dans le tournoi – la Roumanie ou la Belgique – lors d'un match qui devrait avoir lieu d'ici à la fin de l'année. Il faut remonter à 2001 pour se rappeler de la dernière fois qu'ils ont atteint ce niveau.

« C'est un peu irréel parce qu'on a travaillé tellement pour y arriver », explique Dirk Danen. « Ça va être génial d'y être, j'ai hâte. C'est vraiment dommage qu'on n'ait pas pu jouer contre la Suisse. Ça aurait été bien car c'est une très bonne équipe. »

Une chance à saisir

Les années passées, les Pays-Bas ont toujours été trop justes. Jamais premiers, mais deuxièmes derrière le Portugal il y a trois ans. Mais lorsque l'Allemagne est arrivée dans le Trophy, les Hollandais ont vu qu'il y avait une chance à saisir.

« On n'avait plus notre épouvantail, le Portugal », raconte Hein Kriek, directeur technique à Rugby Netherlands. « On avait donc une chance d'y arriver, de jouer la promotion et de voir si on jouait assez bien pour réussir. Je pense que oui. »

La victoire contre l'Allemagne 37-7 en novembre 2019 a été cruciale sur ce point, d'autant que les Allemands ont toujours eu la main sur eux par le passé. Au cous des six dernières années, la fédération des Pays-Bas a restructuré sa filière de formation en créant six académies régionales et un centre technique national à Amsterdam.

« J'ai entraîné pas mal de gamins dans les académies et ils ne comptaient pas leurs heures. Je pense que c'est ça qui fait la différence », explique Dirk Danen. « Ils s'entraînent très dur en plus de leur métier. Il y a beaucoup de potentiel et Koen Bloemen en est un bon exemple. Il y a quelques années, je l'entraînais et maintenant il a un contrat en Fédérale 1 en France et je joue avec lui dans l'équipe nationale. Les gars sont vraiment motivés. On peut voir qu'ils ont le feu en eux et c'est ce dont on a besoin quand on joue pour son pays. »

Les bonus de la BENE Cup

L'ancien coach et directeur technique Gareth Gilbert a été le moteur de cette transformation et c'est sous son mandat que les Pays-Bas ont atteint la 23e place au classement mondial World Rugby, leur plus haute position à ce jour (deux places de mieux qu'aujourd'hui). Le Néo-Zélandais a pris les rênes de l'équipe en octobre 2019 après avoir été promu des U20.

« C'est la première équipe qui a vraiment un état d'esprit pro », dit-il. « Les joueurs sont issus des académies, de la filière développement et pas que des clubs. Ils sont tout de suite passés par l'équipe nationale. C'est un bond énorme. »

Il assure que, depuis trois ans, la BENE Cup - un championnat entre les quatre meilleurs clubs hollandais du EreKlasse Championship et les quatre meilleurs clubs de Belgique - a eu du bon dans le développement des joueurs.

« Ça les a aidé à trouver des tactiques différentes », assure-t-il. « Le jeu hollandais est assez rapide et ouvert et tous les gars ont les aptitudes qu'il faut grâce au temps qu'ils ont passé dans les académies. Mais en Belgique, le jeu est plus physique, ils sont plus dans le combat.

« L'arbitrage aussi est différent. Nos arbitres laissent jouer la plupart du temps alors que ce n'est pas nécessairement le cas chez les autres. Ce qui serait bien, c'est que les meilleures équipes d'Allemagne nous rejoignent aussi pour qu'on puisse jouer tous ensemble. »

Reformatage du paysage rugbystique en Europe

L'heure est aujourd'hui au reformatage des compétitions. Le EreKlasse Championship bénéficiera d'une nouvelle version en 2021. En attendant, de plus en plus de joueurs des Pays-Bas signent des contrats pros à l'étranger et des discussions sont engagées pour créer un tournoi européen élargi à plus d'équipes.

« Rugby Europe va lancer un championnat de clubs avec une équipe des six équipes du championnat et deux du Trophy. Nous voulons suivre l'exemple des Sunwolves et mettre sur pied une sélection à XV plutôt qu'une équipe de club », précise Hein Kriek.

Cette stratégie de développement se reflète dans le nombre de licenciés que l'on évalue à 16 000 aujourd'hui, même si cela reste encore loin de l'influence du football. « On ne pourra jamais se comparer au foot, mais ça ne me dérange pas », admet Dirk Danen. « Je suis juste satisfait d'arriver à faire ce qu'on fait, d'avancer pas à pas et d'avoir un avenir brillant. »

Photo : Dennis van de Sande