Il fallait bien commencé à un moment donné. Et pourquoi pas il y a tout juste 100 ans, en 1920 ? A cette époque-là, Marie Houdré a 37 ans. Elle n'a plus tellement l'âge de jouer au rugby et, surtout, elle est une femme. Et à cette époque, une femme ne joue pas au rugby.

Née en 1883 à Orléans, Marie Houdré n'est pourtant pas une fille comme les autres. Toute sa vie elle sera avant-gardiste, rompant inlassablement avec l'image qu'une femme doit renvoyer d'elle-même au début du XXe siècle. Elle sera ainsi mariée trois fois, suivra des études de sports, sera dans un premier temps institutrice en maternelle puis deviendra médecin auprès d'enfants malades. Pendant les deux conflits mondiaux, elle redoublera d'engagement auprès des populations meurtries.

Membre du Parti socialiste en 1910, elle s'investit pleinement dans la coopération. Marie n'est pas du genre à rester derrière ses fourneaux et c'est bien ce dont le rugby a besoin.

Naissance de « la barette »

On parle déjà de rugby féminin dès les premières années de 1880 en Europe, essentiellement dans le nord de l'Angleterre et en Écosse, mais de manière très anecdotique. En France, on préfère pratiquer « la barette » à la fin de la décennie 1880, un sport féminin inspiré du rugby où une équipe est composée de 12 joueuses, où les dimensions du terrain sont réduites, où on ne joue pas au pied et où on ne plaque pas. On raconte alors qu'il suffit de toucher le ballon (la barette) et de crier « Touché ! » pour arrêter le jeu et le redémarrer par une mêlée sous forme de cercle.

Moins violent et moins viril que son cousin d'outre-Manche, la barette, uniquement pratiquée en France, ne survit pas. Ce n'est qu'après la Première Guerre Mondiale que la discipline connaît une nouvelle jeunesse avec une adaptation : le plaquage est autorisé, mais aux hanches ; une technique révolutionnaire qui revient d'ailleurs aujourd’hui comme un boomerang mais ça, c'est une autre histoire...

Retour en 1920, donc. La féministe Marie est médecin dans un sanatorium et crée une section sportive féminine à Ploemeur (Morbihan). Mais c'est à Paris qu'elle intègre le Femina Sports, un club omnisports exclusivement féminin où l'on remet au goût du jour la fameuse « barette ». Très vite, ce rugby développé loin des canons habituels de la femme est décrié. Même Suzanne Lenglen, la célèbre championne de tennis, s'en mêle. « Le rugby pratiqué par la femme n’a rien d’esthétique, et je suis opposée à cette mode nouvelle », affirme-t-elle.

Pendant une décennie complète pourtant, plusieurs équipes voient le jour à Lille, Bordeaux, Toulouse et bientôt un championnat de France est organisé. Mais faute de relais, la barrette sera abandonnée au début des années 30 et ce n'est qu'au mitan des années 60 que le rugby féminin, sous sa forme actuelle, renaîtra en France.

Son nom gravé sur le mur des légendes

"Elle incarne parfaitement l’image de toutes ces femmes qui se sont battues dans l’ombre pour essayer de conquérir un petit bout de territoire."

Serge Simon

Symboliquement, c'est ce premier nom que la fédération française de rugby (FFR) a souhaité graver sur son nouveau mur des légendes inauguré au printemps 2019. « Le nom de Marie Houdré figurera à jamais sur le mur des légendes. C’est un acte engagé, engageant, puisque la première légende du rugby français sera cette femme et nous en sommes fiers ! », a indiqué Serge Simon, vice-président de la FFR et président de la commission du rugby féminin de World Rugby.

« Son histoire est très intéressante », poursuit-il auprès du Figaro. « Elle est peu connue du grand public. Elle incarne parfaitement l’image de toutes ces femmes qui se sont battues dans l’ombre pour essayer de conquérir un petit bout de territoire. Car ce sport, il faut le reconnaître, est un sport d’hommes inventé par les hommes et fait pour les hommes. Il se féminise depuis peu de temps.

« Tout au long du siècle, Marie Houdré, en pionnière, a essayé de créer des brèches. Elles se sont refermées pour Marie Houdré. Elle s’est heurtée à l’opinion publique et aux instances du rugby. Pour autant, elle a tenté d’imposer la barette dans les années 30. Mais il a fallu attendre les années 60 pour que la pratique féminine soit enfin acceptée. C’est grâce à ces femmes que le rugby féminin est sur les bons rails. »

Marie Houdré publiera plusieurs ouvrages dont un qui fait encore référence aujourd’hui : « Guide pratique d’hygiène et de médecine de la femme moderne » (1933).