L'influence des entraîneurs en charge de la défense en rugby à XIII a été importante dans l'évolution du rugby à XV professionnel. Dans les premières années, les codes importés du « rugby league » au « rugby union » ont façonné un nouveau style de jeu, plus aéré, plus aérien, avec des joueurs en défense plus affûtés et plus forts, menant un combat plus intense pour gagner la ligne d'avantage.

L'Australien John Muggleton a été le premier à passer le cap en 1998 avant beaucoup d'autres, dont Shaun Edwards, aujourd'hui la nouvelle arme pour la défense du XV de France.

« J'ai été le premier entraîneur de la défense à temps complet en rugby à XV », explique Muggleton. « J'avais rencontré Rod Macqueen qui était aux Brumbies à cette époque-là, et j'ai commencé à travailler avec lui. Lorsqu'il est devenu le sélectionneur des Wallabies, après le départ de Wayne Smith suite à une lourde défaite contre l'Afrique du Sud, il m'a appelé. C'était en 1998 et c'est comme ça que je suis devenu l'entraîneur de la défense des Wallabies. »

Joueur de rugby à XIII avec les Parramatta Eels et la Nouvelle-Galles-du-Sud, John Muggleton disposait déjà d'une expérience dans le coaching à XV avant son embauche avec les Wallabies. Il avait en effet travaillé comme consultant pour le Gordon RFC à Sydney.

Que ce soit avec les Brumbies ou les Wallabies, il a toujours ressenti que les joueurs adhéraient à ses nouvelles idées et étaient toujours prêts à tenter de nouveaux schémas de défense. Mais le plus grand défi, admet-il, a été de discipliner les joueurs dans leur nouveau rôle défensif.

« Il n'y avait pas assez de connexions entre eux », se rappelle Muggleton. « J'appelle ça l'effet domino. Lorsqu'un joueur prend la décision de charger et d'essayer de stopper l'attaque, il met ainsi tous ses coéquipiers dans une position où ils n'étaient pas auparavant et ils ne savent pas comment réagir.

« Donc la première chose qu'on a fait, c'est qu'on a regardé le schéma des positions en rugby à XV. Le premier joueur à côté du ruck, nous l'avons appelé le pilier, car c'est ainsi qu'il s'appelait à l'époque en rugby à XIII. Nous avons stabilisé cette zone, et cela a bien fonctionné pour nous pendant quelques années jusqu'à ce test à Sydney, en 2000, lorsque les All Blacks nous ont mis en pièces. »

Le seul essai encaissé à la RWC 1999

Mais à ce moment-là, l'Australie avait déjà remporté sa deuxième Coupe du Monde de Rugby avec un système imprenable. En six matches, l'équipe n'avait encaissé qu'un seul essai. C'était la première fois que si peu d'essais étaient marqués contre une équipe en Coupe du Monde. Le seul essai avait été marqué par les USA à Limerick en match de poule (victoire de l'Australie 55-19) par Juan Grobler. Son nom, John Muggleton ne l'a pas oublié...

« Je n'étais pas là ce jour-là. Le pays de Galles jouait les Samoa le même week-end et j'étais là-bas pour voir ce match parce qu'on risquait éventuellement de tomber sur l'un des deux en possible quart de finale », raconte l'ancien deuxième-ligne. « Lorsque j'ai regardé la vidéo plus tard, notre ailier a essayé de charger le centre et ça a causé l'effet domino dont je vous parlais avant. Et ils ont été assez malins pour en profiter pour marquer. Grobler, personne ne l'a oublié. Il est devenu une superstar après ça ! »

Une défense (presque) hermétique

L'Australie n'a encaissé que des pénalités contre l'Irlande et la Roumanie – quatre en tout lors des deux premières rencontres. Suite à la surprise contre les États-Unis, les Wallabies ont battu le pays de Galles 24-9, puis l'Afrique du Sud 27-21 – une fois encore sans encaisser le moindre essai – pour se qualifier en finale.

« Ça faisait trois ans qu'on travaillait et on n'avait rien de vraiment nouveau dans nos schémas défensifs. On avait juste ajouté deux ou trois trucs en fonction de notre adversaire du moment.

« Les années d'avant, que ce soit l'Angleterre, les All Blacks ou l'Afrique du Sud en particulier, ils vous poussaient à plaquer haut parce que comme ça ils pouvaient dérouler leur jeu derrière, passer la ligne d'avantage et remonter le terrain. Donc, on a préféré plaquer bas. Si vous les coupiez dans leur élan, que vous mettiez les gros gabarits au sol, alors vous pouviez contester le ballon. Des gars comme Toutai Kefu, David Wilson, Matt Cockbain et Owen Finegan étaient de très bons gratteurs. Ils n'hésitaient pas à y aller, à gratter le ballon ou le ralentir quelques secondes pour permettre à notre défense de se remettre en place. »

Le plan pour battre les Bleus en 1999

A Cardiff contre la France en finale, les Bleus ont été empêchés de reproduire le style d'attaque qu'ils avaient utilisé pour surprendre les All Blacks en demi-finale. Seuls quelques tentatives, comme celle d'Emile Ntamack, ont été lancées pour essayer de marquer un essai, mais les seuls points tricolores ont été passés par Christophe Lamaison en quatre pénalités lors de la défaite 35-12. Préparer cette finale contre le XV de France a occasionné quelques nuits blanches à l'entraîneur de la défense.

« J'avais regardé leur demi-finale contre la Nouvelle-Zélande et, à la pause, j'ai dû inverser toutes mes notes », se souvient John Muggleton. « Mes observations sur l'attaque de la Nouvelle-Zélande – qui menait 17-10 à la pause avant de perdre 31-43 – se sont transformées en observations sur la défense de l'équipe de France et mes notes sur la défense des All Blacks sont devenues des notes sur l'attaque des Français.

« On devait tout faire pour les empêcher de faire des offloads, il fallait les mettre au sol aussi vite que possible, réduire nos espaces d'un mètre ou deux et casser le rythme. »

John Muggleton, 60 ans aujourd'hui, est resté avec les Wallabies jusqu'en 2008 avant de partir en Géorgie accompagner les Lelos à la RWC 2011.

Sans surprise, il estime que l'équipe qui remporte une Coupe du Monde est celle qui présente la meilleure défense. « Dans toutes les Coupes du Monde de Rugby, c'est pendant les poules qu'il y a le plus de points de marqués. Quand on en vient aux quarts de finale, demi-finales et finales, ça se gagne toujours sur la défense », assure-t-il.

Tous les transferts du rugby à XIII n'ont pas réussi

Et c'était vrai en 2003, lorsque l'ancien entraîneur de rugby à XIII de Grande-Bretagne Phil Larder a prêté main-forte à la défense de l'Angleterre. « Les gars qui ont réussi sont ceux qui ont pris le temps d'étudier le jeu et ont adapté le rugby à XV plutôt que de calquer le modèle de la défense en rugby à XIII », ajoute John Muggleton.

« Rod avait précisé dès le premier jour qu'il fallait avoir une défense de rugby à XV, pas de rugby à XIII. Il y a différents types de plaquages en rugby que vous ne feriez jamais en League. Faire un plaquage de style catch ne fonctionnerait tout simplement pas. Les deux types de rugby sont différents.

« Phil Larder et moi étions les deux premiers à l'avoir fait et à réussir. Tous les gars qui sont venus du rugby à XIII n'ont pas réussi et nous étions nombreux. C'était un peu de l'artisanat... »