Ils ne sont pas si nombreux à avoir soulevé la Webb-Ellis Cup au cours de leur carrière. Huit au total, en neuf éditions, du demi de mêlée des All Blacks David Kirk en 1987 à Siya Kolisi, premier capitaine noir des Springboks en 2019, en passant par Richie McCaw qui l'a soulevé – privilège suprême – à deux reprises.

Retour avec les principaux intéressés sur cet instant rare en attendant qu'un neuvième joueur la soulève en 2023 en France...

David Kirk, Nouvelle-Zélande, 1987

Le demi de mêlée des All Blacks a marqué cinq essais lors de la première édition de la Coupe du Monde de Rugby, dont un lors de la finale. Mais tout ce dont on se souvient, c'est de son regard lorsqu'il a posé ses lèvres sur le trophée tant convoité, ce soir du 20 juin 1987, après la victoire 29-9 sur l'équipe de France.

« Nous étions conscients du caractère historique de cette première Coupe du Monde. Il y avait eu des tonnes de discussions pour savoir qui allait être le meilleur. Alors que nous avancions vers la finale, nous avions juste besoin de gagner. Nous étions chez nous et concentrés sur la victoire », raconte-t-il.

« Nous avons joué un style de rugby exceptionnel », ajoute-t-il alors que la Nouvelle-Zélande avait marqué 43 essais sur l'ensemble du tournoi et n'en avait encaissé que quatre.

« Nous avons gagné gros, et la raison pour laquelle nous avons gagné gros est parce que nous étions bien meilleurs que beaucoup d'autres équipes parce que nous avons joué un nouveau style de rugby que la plupart des équipes n'avaient pas encore vu. »

Nick Farr-Jones, Australie 1991

L'Australien Nick Farr-Jones est le deuxième demi de mêlée à avoir mené son équipe jusqu'au terme de la Coupe du Monde de Rugby, en battant l'Angleterre en finale, chez elle, 12-6 le 2 novembre 1991, ce qui a ajouté à son plaisir.

« C'était trop bien de jouer la finale à Londres, une si grande ville du rugby », explique-t-il. « C'était plein et Twickenham était mon terrain de jeu favori, donc toutes les planètes étaient alignées. J'ai dit aux jeunes joueurs : voilà pourquoi nous nous sommes tant entraînés, alors profitez du moment ! »

Nick Farr-Jones a disputé dix autres tests après celui-là mais il savait pertinemment qu'il n'aurait plus l'occasion de vivre un tel moment.

« En fait, j'ai été malade le mercredi d'avant ; je crois que c'était un contre-coup de toute la pression. Je savais que c'était mon dernier match de Coupe du Monde. Mais c'est à chaque fois pareil, plus vous prenez du recul et plus vous réalisez à quel point vous avez eu la chance d'être au bon endroit et au bon moment pour devenir capitaine dans une équipe de Coupe du Monde.

« Souvent, les sportifs disent que, lorsqu'ils gagnent, ils ont travaillé très dur pour y arriver et que parfois la victoire peut paraître un peu décevante. Et pour être honnête, ça ressemblait un peu à ça à l'époque. Mais plus vous prenez du recul, plus vous appréciez la chance que vous avez eue. »

Francois Pienaar, Afrique du Sud, 1995

C'était plus que du rugby à cette époque-là. Un coup de poker politique et sportif qui allait bouleverser tout un pays. Aussi, lorsque ce 24 juin 1995 Francois Pienaar reçoit la Webb-Ellis Cup des mains du président Nelson Mandela, c'est un mélange de fierté et de soulagement qui s'empare du capitaine des Springboks.

« Vous savez, il y avait tellement d'enjeux », se souvient-il. « La tension était intense car soit vous terminiez la semaine en étant champion du monde, soit en étant finaliste.

« Ce que je garde de ce moment, c'est un sentiment de soulagement absolu. Dans une finale de Coupe du Monde de Rugby, peu importe la manière avec laquelle vous y arrivez, peu importe l'écart de points, vous voulez simplement être devant après 80 minutes. Et quand vous levez la tête et que vous voyez ça, vous savez que vous l'avez fait, c'est un sentiment incroyable. »

Cette victoire 15-12 dans le temps additionnel face à la Nouvelle-Zélande a suscité la fierté de tout un peuple. « C'était complètement dingue, incroyable. Même dans mes rêves les plus fous je n'avais pas imaginé les conséquences que ça pouvait avoir pour notre pays... »

John Eales, Australie, 1999

Figure légendaire de la deuxième-ligne, John Eales est devenu champion du monde pour la deuxième fois – il n'avait que 21 ans en 1991 - le 6 novembre 1999 à Cardiff lorsque l'Australie a battu la France 35-12. Dans l'euphorie du moment, il a eu la tête qui a tourné.

« Juste après le match, je me suis tourné vers tous ceux qui étaient là pour faire la fête avec nous et là je me suis souvenu que je devais recevoir le trophée des mains de la Reine. J'étais très heureux que nous ayons réussi ce que nous voulions le plus.

« On avait passé tellement de temps pendant quatre ans à penser à vivre cet instant, sans savoir qu'on pourrait le vivre, d'ailleurs. Et lorsque j'ai finalement soulevé la Coupe, c'est là que j'ai réalisé que tout s'était bien passé. »

Martin Johnson, Angleterre, 2003

Le 22 novembre 2003, le Telstra Stadium retient son souffle lors de la finale qui oppose le pays hôte, l'Australie, à l'Angleterre. Le temps est écoulé et le match se prolonge dans le temps additionnel jusqu'à ce drop tapé par Jonny Wilkinson et qui a offert la victoire à l'hémisphère nord pour la toute première fois de l'histoire de la Coupe du Monde, 20-17.

« Des milliers de fans nous avaient suivis à Sydney en 2003 », se rappelle Martin Johnson, qui avait choisi de se retirer après ce match, tout comme David Kirk quelques années auparavant. « Je me souviens que les marches de l'hôtel grinçaient avant le match à cause des 3000 personnes rassemblées dans le lobby qui chantaient 'Come on England !' C'était un souvenir extraordinaire qu'on a partagé avec tout ce monde. S'entendre dire de leur part que c'était le plus beau jour de leur vie, ça fait vraiment bizarre.

« Même avec un score aussi serré que ça, qu'on ne sait pas de quel côté le match va basculer et quelle équipe va gagner, on savait, avec tout le respect que l'on a pour les Australiens, on savait qu'on aurait dû prendre le score bien plus tôt en temps normal, probablement de 12 points. Mais on ne l'a pas fait. Si bien que lorsqu'on a finalement gagné, ça a été un immense soulagement. »

John Smit, Afrique du Sud, 2007

Le premier et seul talonneur à être capitaine d'une équipe championne du monde est John Smit qui a littéralement mené les Springboks en première ligne pour remporter la Coupe du Monde pour la deuxième fois, en battant l'Angleterre 15-6 à Saint-Denis le 20 octobre 2007.

« On avait cette responsabilité de porter les espoirs de tout un pays sur nos épaules et maintenant nous allons revenir avec le trophée dans ce pays », expliquait-il alors. « Les rêves se réalisent. Gagner la Coupe du Monde de Rugby, je crois que je vais comprendre tout ce que ça signifie dans une paire de jours !

« C'est fort. Je suis fier de chacun des gars. On aura plein d'histoires à raconter quand on sera plus vieux, mais personne ne pourra ressentir ce que ce groupe a vécu. Ce sont des guerriers et je pense que tout le pays devrait être fier d'eux. »

Richie McCaw, Nouvelle-Zélande, 2011

L'attente de 24 ans avant de gagner à nouveau la Coupe du Monde de Rugby a pris fin à domicile, le 23 octobre 2011, lors de la victoire des All Blacks contre la France, 8-7.

« Les leçons que nous avons tiré de 2003 et 2007, le travail que nous avons accompli pendant quatre ans, tout ça nous a servi pour arriver à nos fins au moment voulu », relève Richie McCaw, le capitaine des All Blacks. « Il fallait que l'on maîtrise nos nerfs jusqu'au bout pour ne pas flancher. »

A l'entendre, le temps de mettre la main sur le trophée a été aussi long que d'attendre que retentisse le coup de sifflet final. « C'est un sentiment fabuleux et vous voulez qu'il dure le plus longtemps possible. Je buvais chaque moment en attendant de recevoir la Webb-Ellis Cup. C'était génial de la soulever. C'était extra. »

Richie McCaw, Nouvelle-Zélande, 2015

McCaw savait très bien que c'était son dernier tournoi, que juste après celui-ci en Angleterre il raccrocherait les crampons. Si bien que le 31 octobre 2015, il savoure chaque seconde de cette victoire 34-17 sur l'Australie à Twickenham, admettant après coup qu'il y a pris plus de plaisir que la finale précédente.

« Ça n'avait rien à voir avec 2011 où on attendait le coup de sifflet final avec impatience », reconnait-il. « On a profité de chaque minute de cette finale de Coupe du Monde, on a apprécié chaque petit moment, ce qui n'était pas le cas quatre ans plus tôt. »

Entre ces deux Coupes du Monde, la Nouvelle-Zélande est restée en tête du classement mondial World Rugby. Et McCaw est témoin de tous les efforts que ça a demandé que de pouvoir conserver la Webb-Ellis Cup.

« Il a fallu travailler encore plus pour nous améliorer encore. Avec Steve Hansen et son staff, ainsi qu'avec des anciens joueurs, on a tout donné pour garder notre motivation intacte pendant tout ce temps. »

Siya Kolisi, Afrique du Sud, 2019

Dans son commentaire d'après-match, quelques minutes après la victoire de l'Afrique du Sud 32-12 sur l'Angleterre à Yokohama, le capitaine des Springboks Siya Kolisi a tenté d'exprimer ce que représentait un tel accomplissement pour son pays.

« Je suis si reconnaissant, après toutes les épreuves que l'équipe a traversées... On a eu beaucoup d'obstacles sur notre chemin, mais le peuple d'Afrique du Sud a été derrière nous et nous sommes très reconnaissants envers eux...

« Il y a beaucoup de problèmes dans notre pays, mais une équipe comme celle-ci, avec différents parcours, différentes races, a su se réunir et atteindre un même objectif. Et nous l'avons réalisé.

« J'espère vraiment qu'on a montré à notre peuple qu'il était possible d'accomplir de grandes choses à condition d'avancer dans la même direction. Depuis que je suis né, je n'ai jamais vu mon pays dans cet état... »