Nathalie Amiel a ce débit rapide des gens qui ne sont pas habitués à parler d'eux, plus prompte à se fondre dans le collectif pour le faire avancer que de parler d'elle. Nathalie Amiel, c'est en quelque sorte la plus parfaite illustration d'un sport collectif et plus particulièrement du rugby. Aussi, lorsqu'en 2014 elle est intronisée au World Rugby Hall of Fame, elle ne se rend pas compte de ce que ça représente. « Tout le monde me félicitait, mais moi je ne me rendais pas compte de ce que c'était. Il y avait autour de moi que des stars de rugby, c'était une grande fierté », dit-elle aujourd'hui, six ans après. « Et puis il y avait Jo Maso. Jo, c'est quelqu'un qui faisait rêver les gens. Tandis que moi, je n'étais que la fille du village ! J'ai encore du mal à me dire que j'étais à leur niveau. »

Nathalie est du genre à refuser les mondanités pour mieux se réfugier dans ses terres. C'est dans l'Hérault qu'elle a ses racines. C'est là qu'elle a commencé à taper dans la balle dans les années 70. D'abord une bien ronde, bien grosse, qu'elle tentait de mettre dans un panier de basket. « Mais ce n'était pas mon truc », avoue-t-elle. Petite, elle a également fait du judo. Mais le rugby, déjà, était partout autour d'elle. « Quand la France gagnait au Tournoi, avec mes frères aînés on filait au stade et on allait jouer au rugby, ça nous donnait envie de faire comme eux. Quand la France perdait, on faisait autre chose », sourit-elle.

A 12 ans, sa mère l'inscrit à un club qui possède déjà une section féminine. Mais à Narbonne, on lui refuse les entraînements avec les garçons. Elle l'admet, elle en garde encore un petit ressentiment... C'est donc dans son village à Capestang que l'entraîneur l'accueille les bras ouverts, pour justement s'entraîner avec les garçons. Son petit gabarit est le même que les autres gamins de son âge, ça ne lui pose pas de problème. A 12 ans, elle ne se pose pas de question, trop heureuse d'enfin pouvoir jouer dans un club avec ses copains. Parfois on la positionne parmi les avants.

Et puis elle, ce qui l'intéresse, c'est de pratiquer le rugby comme un sport d'évitement, pas d'affrontement. « S'entraîner avec les garçons, ça vous oblige à vous surpasser », explique-t-elle. « J'ai appris à éviter les adversaires car je savais que si je les rencontrais, ça ferait mal. Ça m'a permis de beaucoup développer mes appuis, les crochets, la vitesse... Beaucoup prétendent que le rugby est un sport de brut, mais ce n'est pas vrai. Ce n'est pas un sport de brut quand on est bien préparé. » Partout on l'appelle Zébulon, un souvenir du « Manège enchanté » de Pollux, « parce qu'à chaque fois que je tombais, je me relevais aussitôt et je repartais », se souvient-elle, amusée.

Première sélection internationale... à 15 ans

La petite Nathalie qui joue au rugby pousse ses entraîneurs à lui dire la même chose : « tu fais la promotion du rugby féminin ». Cette phrase, elle en a horreur. « Non, je joue au rugby, point. On met toujours des étiquettes et ça m'a toujours agacée qu'on me dise ça. Masculin et féminin, c'est du rugby et ça me va très bien », assure-t-elle, satisfaite de constater que désormais toutes les Coupes du Monde de Rugby, qu'elles soient Hommes ou Femmes, ont la même appellation.

Nathalie Amiel aime à le répéter : « le rugby, c'est un peu ma deuxième nature ». Du moins, une partie intégrante de sa vie, si bien que pour sa première sélection elle n'a que... 15 ans. « Aujourd'hui, ce ne serait plus possible, tellement il y a de règles », rigole-t-elle. Mais à l'époque, au milieu des années 80, le fait que le rugby féminin soit géré par une fédération ad-hoc l'autorise à aller jouer à Richmond contre l'Angleterre pour son tout premier match international. Il s'en suivra 55 autres dont trois Coupes du Monde de Rugby, toujours en troisième-ligne aile ou au centre, comme vers la fin.

Entraîneur pendant 12 années

Entre-temps, elle fait une petite pause, histoire de mettre au monde son premier fils. Joueuse et mère de famille. « Ce n'était pas facile de gérer la vie de famille et les déplacements pour les matches », reconnaît-elle, se souvenant des remarques de son enfant chaque fois qu'elle partait en tournée. « Mais un entraîneur doit se réjouir d'avoir une mère de famille dans ses rangs parce que ça veut dire que si on est là, c'est que l'on va tout faire pour l'équipe. »

Le papa ne dit mot et consent. « On s'est rencontré par le club ; il aurait été mal venu qu'il me dise de rester à la maison », tranche-t-elle. Après avoir mis un terme à sa carrière de joueuse en 2002 avec la naissance de son deuxième fils, elle garde néanmoins un pied dans le rugby. Elle a commencé à passer un premier diplôme pour être entraîneur, puis un deuxième. « Mais je ne voulais pas devenir entraîneur », proteste-t-elle. « Ça m'a permis d'apprendre le rugby différemment. Si je l'avais appris comme ça quand je jouais, j'aurais joué différemment. »

Mais le virus est là, bien ancré en elle. Et elle rempile pour prendre la tête du XV de France féminin pendant douze années au cours desquelles elle disputera deux Coupes du Monde de Rugby. « Celle qui me laisse le meilleur souvenir, c'est celle de 2002 en Espagne. Il y avait toute ma famille dans les tribunes. J'ai préféré vivre la Coupe du Monde de Rugby en tant que joueuse plutôt qu'entraîneur. Entraîneur, on était plus devant un ordinateur que sur le terrain », confie-t-elle.

L'explosion du rugby féminin

En 2014, elle remporte la petite finale contre l'Irlande à Jean-Bouin. De l'avis de tous, c'est à partir de là que s'est vraiment développé le rugby féminin en France. « Je pense que la fédération n'était pas préparée à un tel engouement. L'image renvoyée par les filles plaisait aux gens et il y a eu une grande ouverture sur les médias. Les gens ont retrouvé dans le rugby des filles une folie, les passes du bout du monde... »

Et si, depuis, le rugby féminin s'est popularisé et professionnalisé, il n'a pas perdu son âme pour autant. « Il y a toujours cet état d'esprit et il faut que ça continue », prévient-elle. Rugby plaisir, rugby sourire. « Ce qu'il y a de bien aujourd'hui, c'est que les filles sont mieux préparées qu'avant, elles disposent de plus de temps. Pour nous, c'était beaucoup plus difficile de tout gérer. Mais ça n'ira qu'en s'améliorant. »

Même si elle regrette de ne pas avoir plus de temps pour regarder toutes les retransmissions, elle suit particulièrement le parcours de ses enfants en ProD2. Et puis elle entraîne toujours aujourd'hui, les 4-14 ans à l’école de rugby de Capestang-Puisserguier. Le rugby, ses valeurs et les façons de se protéger. « Je transmets quelque chose », dit-elle dans un murmure que trahit sa modestie. Ses trophées, sa cape d'intronisée, elle ne les a d'ailleurs jamais conservés chez elle. Tout se trouve à son club. Pour inspirer les prochaines générations.

Photo : Isabelle Picarel/FFR