Jusqu'à ce jour, la plus grande fierté de Maëlle Filopon dans le rugby aura toujours un goût aigre-doux.

On se souvient d'elle, exaltée par l'enjeu, passer outre Kendra Cocksedge et Stacey Waaka, puis snober Ayesha Leti-I’iga pour marquer un magnifique essai en solo contre les championnes du monde de Nouvelle-Zélande chez elle, à Grenoble, en novembre 2018. La France gravait ainsi dans le marbre la toute première victoire (30-27) de son histoire sur les Black Ferns alors en tournée européenne dans un Stade des Alpes plein à craquer. Mais cette félicité n'allait pas aller plus loin...

Le jour où tout s'est arrêté

Car, après avoir été impériale dans les 27 premières minutes de la rencontre, la jeune centre du Stade Toulousain a vite été stoppée dans son élan. Dans leur tentative d'éviter à Maëlle de marquer contre elles, Leti-I’iga et Waaka se sont, par inadvertance, alliées pour la blesser au ligament croisé.

« Tout s'est brisé d'un coup », confie-t-elle. « C'était un rêve de jouer contre les Black Ferns à domicile, mais tout s'est arrêté en une seconde. Tu te sens bien et tout à coup tu es au sol et tu ne peux plus te relever. J'étais dégoûtée. »

L’angoisse de Maëlle au début de sa longue convalescence s’ajoute au fait que cela s'était produit deux ans après qu’elle ait subi la même blessure à son autre genou. Après avoir étincelé lors de la campagne de novembre où elle a subi ce revers, la joueuse de 21 ans a su tirer parti de cette mésaventure.

« Au début, quand s'est arrivé, c'était encore plus dur à supporter. Mais ensuite, avec mon expérience des blessures, j'ai pu m'en sortir », explique-t-elle. « J'ai mieux accepté ce qui m'arrivait et j'ai continué à soutenir l'équipe, à les regarder à la TV. »

Maëlle a été initiée au sport par sa famille d'accueil folle de rugby à l'âge de six ans. Mais au début, son aventure n'a pas duré plus d'une saison, par crainte d'être sérieusement blessée au visage.

« Ma famille d’accueil avait peur que je me sois cassée le nez », raconte-t-elle. « C'est en fait à cause de ma famille d’accueil que j'ai été obligée d'arrêter. »

Ce handicap qui a failli lui coûter sa passion

A la place, Maëlle a été encouragée à se tourner vers le judo où elle a excellé. Mais son désir de revenir un jour au rugby ne l'a jamais quittée. Elle explique avoir été séduite par les « valeurs, le respect et l'amour du maillot » et espérait de plus en plus rejoindre ses amies sur le terrain.

« Mon meilleur ami jouait au rugby. Je ne voulais pas spécialement continuer le judo et mon meilleur ami me poussait à venir rejouer au rugby. On a essayé de convaincre ma famille d’accueil et finalement elle a accepté et elle m'a laissé rejouer », sourit-elle.

Maëlle est revenue à ses premiers amours à 12 ans, malgré « cette petite peur du plaquage ». Mais elle a pu se servir de ce qu'elle avait appris au judo pour chuter sans se faire mal.

Plaquer n'était pourtant pas la seule chose à arriver à maîtriser. Car Maëlle souffre d'une maladie héréditaire qui l'a rendue partiellement malentendante, ce qui la rend incapable par exemple de déchiffrer les tonalités aiguës.

Au judo, cela ne posait aucun problème car elle pouvait faire entendre sa voix. Mais sur un terrain de rugby, elle s'est vite aperçue qu'elle ne pouvait pas entendre le sifflet de l'arbitre. Gênant. Cet obstacle qui se dressait maintenant devant elle l'empêchait à pleinement profiter du rugby.

« Une fois, après un plaquage à retardement, j'ai été sanctionnée et les autres étaient énervés. Mais c'était parce que je n'avais pas entendu le sifflet », s'excuse-t-elle.Au début, la capitaine de Maëlle informait les officiels de match afin qu'ils soient au courant de sa surdité. Mais aujourd'hui, la centre compte plus sur des repères visuels pour compenser son déficit auditif.

« Il fallait juste que je m'habitue. Mais maintenant, j'ai développé une intelligence visuelle plus qu'auditive et je peux voir si les joueuses bougent ou pas. Je comprends mieux les mouvements et c'est même plus facile. Mais c'est vrai que c'était difficile au début. »

Comme un 6e sens

Maëlle Filopon s'est adaptée rapidement et a pu remporter la finale du championnat Armelle Auclair avec son équipe de Grenoble l'an passé. C'est ce qui reste, avec son essai contre les Black Ferns, l'un de ses meilleurs souvenirs.

« Ça représentait trois ans de travail intensif avec mes amies et ma famille. C'était l'aboutissement de trois années d'effort », insiste-t-elle.

Aujourd'hui, elle se trouve à l'aube d'une carrière internationale qu'elle espère la plus longue possible sous les couleurs de l'équipe de France.

Elle aimerait bien développer le rugby féminin dans son pays, à l’instar de ce qui se passe en Angleterre et en Nouvelle-Zélande, et devenir pro aussi, même si elle insiste sur le fait qu’elle est heureuse d’avoir « autre chose » dans sa vie qui lui permette de se concentrer sur un autre domaine que le sport.

Pour l'instant, elle se concentre surtout sur son retour sur les terrains avec Toulouse et rien que ça devrait montrer à la prochaine génération de joueuses qu'aucun obstacle n'est trop important à franchir si on est motivé.

« Je ne souhaite pas spécialement devenir un exemple, mais ce que je veux vraiment c'est devenir meilleure, en apprendre davantage sur moi-même. Et si ça peut inspirer d'autres filles, alors ce serait génial », sourit-elle.