Peu de personnes peuvent se targuer d'avoir une vie autant ancrée dans le sport que Lucky Nirere. Sa maman Fortunate Irankunda était au milieu de sa carrière de 13 ans - en tant que première-ligne en Ouganda – lorsqu'elle est tombée enceinte.

« J'allais partout où elle allait », rigole encore Lucky Nirere.

C'est ainsi que la passion de Fortunate pour le rugby a été transmise à sa fille qui n'avait que deux ans lorsqu'elle a joué pour la première fois au rugby foulard. Au moment d'entrer à l'école primaire à quatre ans, Lucky avait déjà commencé à entraîner et à inciter ses copains à faire la même chose !

Sur le terrain à la Coupe du Monde de Rugby 2015 en Angleterre !

L'incroyable éveil de Lucky Nirere a vite capté l'attention. En 2015, elle remporte un concours qui lui permet de se rendre en Angleterre pour la Coupe du Monde de Rugby où elle est chargée de présenter le ballon sur cinq rencontres – dont la victoire serrée de l'Australie sur le Pays de Galles dans la Poule A à Twickenham.

« Il y avait beaucoup de monde dans le stade et j'étais un peu nerveuse », raconte-t-elle. « Mais aussi pendant les interviews et avant le coup d'envoi j'avais un peu peur. »

Mais l'histoire de Lucky Nirere ne s'arrête pas là. Dans les trois ans et demi qui ont suivi le voyage à Londres, elle a continué à former des entraîneurs au rugby foulard dans tout l'Ouganda tout en jouant, entraînant et arbitrant elle-même.

Âgée aujourd'hui de 12 ans, elle peut se vanter d'avoir déjà travaillé avec 50 entraîneurs, qui tous œuvrent toujours dans le rugby grâce un réseau du sport amateur qui a été mis en place dans ce pays d'Afrique.

Lucky Nirere espère que son travail, de même que le Tag Rugby Trust, en Ouganda peut aider à construire un pont entre le rugby foulard et le rugby de contact, donnant ainsi la possibilité aux jeunes filles d'apprendre les skills et de gagner en confiance pour avancer vers le Sevens ou le XV.

« Le rugby foulard est un sport simple, qui peut être pratiqué à tout âge, que l'on soit un garçon ou une fille », insiste-t-elle. « Si vous jouez au rugby foulard, vous allez pouvoir continuer et jouer au vrai rugby. En Ouganda, nous sommes en train de créer un sport qui encourage les filles à y arriver car beaucoup ont peur de ce sport de contact.

« C'est pour cela que nous sommes en train de concevoir un sport qui va les amener lentement et progressivement vers le rugby, qui va leur inculquer les bases, mais toujours dans une version foulard. Le rugby foulard nous aide à aller tranquillement vers le rugby de contact. Et on espère que les filles vont avoir le courage de se lancer dans l'avenir. »

Deux obstacles : l'argent et le soutien

Les entraîneurs que Lucky et ses collègues forment devraient également s'impliquer dans le jeu dans le but de transmettre ce qu'ils ont appris. A terme, la connaissance de ce sport sera telle que le rugby pourra se développer par lui-même en Ouganda.

« En tant qu'entraîneur, nous espérons que les gens apprennent non seulement les règles du rugby, mais aussi à comment entraîner », ajoute Lucky. « Nous aimerions mettre en place une escouade d'entraîneurs sur tout le territoire qui seraient capables de jouer au rugby foulard, d'entraîner les équipes et d'arbitrer les matches. »

A travers sa mission, Lucky Nirere a compris qu'il faudrait résoudre les deux problématiques qui empêchent le plein développement du rugby féminin en Ouganda : l'argent et le soutien.

Une étude sur la pauvreté menée en 2016 affirme que, même si elle s'est améliorée en dix ans, près d'un Ougandais sur cinq vit toujours sous le seuil de pauvreté, ce qui signifie que le sport ne fait pas partie des dépenses prioritaires des ménages.

Il faut prendre en compte aussi les préjugés relatifs au sport féminin dans le pays et qui empêchent les parents d'inscrire leurs enfants pour ne pas avoir à les affronter.

Un jour avec le maillot des Lady Cranes ?

« Certains parents ne peuvent même pas payer l'école », regrette Lucky. « Chaque fois que nous devons nous rendre quelque part avec l'équipe, ces parents-là nous disent qu'ils n'ont pas les moyens. L'un des obstacles du rugby aujourd'hui, c'est l'argent, mais aussi le manque de soutien. Dans la plupart des cas, lorsque vous dites à des parents que leur enfant va jouer au rugby foulard, la première chose à laquelle ils pensent, c'est au rugby de contact et ils ont peur d'y emmener leur fille. »

Lucky est déterminée à changer les mentalités et la perception que l'on peut avoir du rugby dans son pays. Son but : inciter de plus en plus de filles à jouer avec un ballon ovale. Cette détermination et cette motivation lui viennent de sa maman qu'elle décrit comme « un modèle ».

« Elle m'entraîne, elle m'inspire », dit-elle. « Elle a également créé sa propre école pour les jeunes et c'est notamment pour cela que j'en suis là aujourd'hui. Elle m'a appris à jouer, à arbitrer et à encourager la pratique du rugby foulard. »

Peut-être qu'un jour Lucky aura elle aussi l'opportunité de revêtir le maillot de l'équipe nationale, les Lady Cranes.

« J'en serais vraiment fière ! », s'exclame la jeune fille. Sa mère aussi.