A 65 ans, Abdelaziz Bougja a décidé de passer la main. Ce sera chose faite au terme de la 13e assemblée générale de Rugby Afrique (anciennement CAR, Confédération africaine de rugby) qui est prévue le 2 mars à Casablanca, au Maroc. C'est d'ailleurs là que tout a commencé. Là qu'Aziz a fait ses premières armes en tant qu'international aux 52 sélections entre 1972 et 1983 après avoir joué dans les équipes junior. A partir de là aussi qu'il a sillonné le monde entier, rencontré les plus grands et décidé, un beau jour, de participer à sa manière au destin du rugby en Afrique en s'engageant.

"Je partais d'une feuille blanche et il fallait que j'imagine une stratégie..."

« Je partais d'une feuille blanche et il fallait que j'imagine une stratégie », raconte-t-il de sa voix calme et posée, à World Rugby. « Quelle stratégie imaginée quand on est sur un continent, où l'infrastructure est défaillante, où les liaisons aériennes, routières, ferroviaires sont difficiles ? Il fallait trouver des solutions, imaginer des concepts de proximité ; ça a été la première des choses. Mais aussi de faire confiance à des pays qui n'avaient pas encore de rugby, où le rugby commençait à peine. J'étais contre pas mal de gens à propos de cela... On me reprochait ce que j'allais faire au Mali, au Burkina, au Niger. On ne le comprenait pas au début.

« On a fait en sorte que cette balle ovale soit partagée par 40 pays aujourd'hui alors qu'au début il n'y avait que quatre pays qui jouaient : le Maroc, la Tunisie, le Zimbabwe et l'Afrique du Sud. Il n'y avait pas de championnat, il n'y avait rien. »

"On a fait en sorte que cette balle ovale soit partagée par 40 pays aujourd'hui alors qu'au début il n'y avait que quatre pays qui jouaient."

Aziz Bougja

Faire du rugby un outil de rapprochement

A force de ténacité et de volonté, Abdelaziz Bougja remue ciel et terre, ose forcer les cultures et abattre les barrières. « La principale problématique du rugby, c'est d'être un sport compliqué dans ses règles, sa méthode, d'être réservé à une élite. Il était utilisé politiquement, ethniquement. Nous, on voulait en faire le contraire, un outil de rapprochement. Faire en sorte qu'un jeu de quartier puisse voyager, rencontrer d'autres personnes qui parlaient d'autres langues, de tisser des liens, de faire des études, de partager... », explique le président de Rugby Afrique.

« Il a fallu créer des zones pour qu'il y ait des motivations, des petits championnats en mettant en place une structure adaptée, faire jouer les gens.

« Alors, on a créé des zones comme le Mali, le Niger, le Burkina Faso pas loin. En 2003, j'ai pris un risque en affrétant un avion avec le Cameroun, le Ghana, le Sénégal. J'ai loué l'avion pour le premier tournoi des petits pays au Mali, à Bamako, le Castle Beer Trophy. C'est là qu'on a enclenché le principe que l'on s'intéressait à eux. C'était un rugby rudimentaire, mais il fallait prendre le risque. »

1000 dialectes, mais un seul langage : le rugby

17 ans après et avec près d'un million de joueurs aujourd'hui, le pari est en passe d'être réussi même s'il reste tellement à accomplir. Le rugby a réussi à se structurer, à se développer pour arriver à trois grandes divisions de l'Africa Cup : la Gold Cup, la Silver Cup et la Bronze Cup. « Notre budget a été multiplié par 40. On a trouvé des sponsors, on a signé des accords de télévision. C'est extraordinaire », s'enthousiasme Aziz qui reconnaît dans le même souffle que tout, et principalement dans le domaine extra sportif, ne s'est pas fait en un jour.

« Il s'agissait de faire cohabiter les gens entre l'Afrique blanche en Afrique du Sud, l'Afrique de Nord, l'Afrique centrale, l'Afrique de l'Ouest... Mais aussi le langage, lorsque l'on sait qu'il y a 1 000 dialectes et une population d'un milliard d'habitants. 1 000 dialectes et un langage commun : le rugby », insiste-t-il.

"Notre budget a été multiplié par 40. On a trouvé des sponsors, on a signé des accords de télévision. C'est extraordinaire"

Aziz Bougja

La fin d'une époque

L'assemblée générale de Marrakech sera l'apogée du rugby africain qui se déroule à partir du 28 février. 40 pays seront présents, mais aussi de grands noms du rugby international, des représentants des autres fédérations amies ainsi que de World Rugby. Sont notamment attendus Mustapha Berraf (président de l’Association des Comités Nationaux Olympiques Africains), Nawel El Moutawakel (Comité Olympique International), David Carrigy (chef du développement international de World Rugby), Bernard Lapasset (ancien Président de la Fédération Internationale de Rugby) et Bernard Laporte (président de la Fédération Française de Rugby).

« Ce sera un peu mon histoire qui est retracée... Beaucoup de personnes, beaucoup d'émotion. L'Afrique, le Maroc, World Rugby seront présents, mais aussi tous mes amis de l'Europe... Que des amis avec qui j'ai tissé des liens. Le rugby est un prétexte pour se retrouver, pour partager et faire en sorte de s'entraider », sourit-il, lui qui a été élu pour la 1ère fois à la tête de la CAR en 2002 à Yaoundé, puis en 2006, 2010 et 2014.

« En 2002, la CAR comptait 16 membres, aujourd’hui nous sommes 40. 24 pays ont pris part à nos compétitions avec leurs diverses équipes nationales en 2018. Les qualifications à la Coupe du Monde 2019 ont généré près de 2 millions de vues sur les réseaux sociaux. Le rugby s’est démocratisé et est pratiqué partout en Afrique, rien qu’en 2018 nous avons initié 459 000 jeunes à la balle ovale. Nous parlons là du sport qui connaît le plus fort taux de croissance en Afrique », aime à rappeler le futur ex président.

L'assemblée générale sera l’occasion de renouveler plusieurs partenariats de confiance liant Rugby Afrique à la Fédération Sud-Africaine de Rugby (SARU) et à la Fédération Française de Rugby (FFR). Elle se conclura par la remise des récompenses aux fédérations et l’élection du nouveau bureau exécutif de Rugby Afrique.