Véronika Muehlhofer n'a peut-être pas introduit le rugby à XV en Suisse, mais elle a fait plus que la plupart pour faire en sorte que ce sport prospère dans ce pays européen. Véronika Muehlhofer, qui a grandi dans la ville italophone de Lugano et a pratiqué le football toute petite, a été initiée au ballon ovale alors qu'elle fréquentait l'université aux États-Unis. C’était alors le début d’une carrière de 20 années.

À la fin des années 2000, après avoir commencé son parcours d’entraîneur aux États-Unis, elle s'est proposée volontaire pour entraîner l’équipe féminine à XV dans le Nord de la Suisse. Bien que la base historique du rugby en Suisse se situe dans l’ouest francophone, c’est au sein de bastions autour de Zurich et de Zoug, dans le nord germanophone, que le rugby féminin a prospéré. En organisant des stages d’entraînement et en jouant contre des équipes régionales allemandes, l’équipe de Muehlhofer est vite devenue une équipe nationale suisse du rugby à XV féminin, au lieu d’une équipe nationale.

Au culot

Très vite, Muehlhofer a sélectionné les meilleures joueuses de tout le pays et a décidé de contacter Suisse Rugby pour lui demander d'officialiser les choses. « Nous sommes allées à la fédération et nous avons dit : 'Écoutez, pourquoi ne voulez-vous pas d’une équipe féminine suisse de rugby à XV ?' », raconte-t-elle.

Muehlhofer a proposé de continuer à entraîner l’équipe en tant que bénévole, à l’instar d’une autre ancienne joueuse, Christa Hermann, qui a été nommée directrice de l’équipe. « Et c'est comme ça que c'est devenue l'équipe nationale féminine de Suisse », explique Véronika.

Malgré le nouveau statut officiel de l’équipe, elle a continué à jouer contre des clubs et des équipes régionales jusqu’à ce que la Suisse affronte la Belgique le 4 septembre 2011 à Bruxelles, remportant son tout premier test-match, 15-7.

« Depuis lors, la fédération a pleinement intégré le programme féminin et a mis en place toutes les structures, l'entraînement et tout le reste », insiste Véronika Muehlhofer, désireuse de souligner que de nombreuses autres personnes - membres du personnel, joueuses, entraîneurs et bénévoles - ont également contribué au développement et au succès du rugby en Suisse.

Un peu plus de sept ans plus tard, soit le 17 novembre 2018, la Suisse a perdu de justesse la rencontre face à la Tchèquie à Yverdon, en deuxième rideau avec les équipes masculines des deux pays.

Aligner le XV féminin sur le XV masculin

Muehlhofer est toujours impliquée au sein de Suisse Rugby en tant que directrice générale et ses travaux au sein de la Commission de la classification par âge, des compétitions et du développement de Rugby Europe continue d’aider à façonner le rugby dans le pays et sur le continent.

La défaite 10 à 5 à domicile de la Suisse face à la République tchèque était le deuxième match du Rugby Europe Women's Trophy 2018-19. La compétition et le championnat d'Europe féminin de rugby ont été organisés cette saison afin d'aligner le XV féminin sur le XV masculin afin d'offrir des matches réguliers et plus équitables aux équipes hors du Six Nations féminin. Ce bouleversement a été imaginé par Véronika Muehlhofer. Quatre équipes participent au championnat et trois au trophée du tier 2.

« L'objectif est ensuite que, l'année prochaine, le championnat s'agrandisse », assure-t-elle. « Un plus grand nombre d’équipes peuvent rejoindre les groupes et cela pourrait aller jusqu’à six comme pour les groupes masculins. Le problème du rugby féminin en Europe, c'est que nous n'avons pas beaucoup de temps de jeu. Même l'Espagne, qui a un assez bon niveau n'a pas eu beaucoup d'occasions de jouer. »

Un besoin de se structurer

Afin de pouvoir participer aux compétitions, les équipes doivent remplir des conditions minimales, ce qui signifie que les fédérations devront « faire leurs devoirs à la maison en créant un concours national », selon Muehlhofer.

La structure du XV féminin en Suisse s’est élargie à 12 équipes réparties en deux ligues. Chacun espère que les pays d’Europe construiront une base de joueuses stable à partir de laquelle ils pourront sélectionner une équipe nationale plutôt que de commencer par cette dernière.

« Dans certains pays, ils mettaient un peu la charrue avant les bœufs car ils sélectionnaient les 23 joueuses qu’ils pouvaient trouver et ça faisait leur équipe nationale », explique-t-elle. « Tout ce qu'ils avaient à faire, c'était de participer à des championnats d'Europe, ce qui n'était évidemment pas la bonne façon de faire. »

Il existe actuellement environ 6 000 joueurs de rugby licenciés en Suisse. Parmi eux, 450 sont des femmes. Cela représente une augmentation de plus de 100% ces dernières années, mais Muehlhofer estime qu’il reste encore beaucoup à faire.

Le rugby, dès l'école

Christa Hermann est désormais responsable du développement de Suisse Rugby. En plus de l’extension de la ligue, il a réussi à intégrer le rugby dans les écoles locales, attirant « plusieurs milliers » d’enfants de six à dix ans au sport, selon Muehlhofer.

C’est un pas considérable pour la fédération, mais il a été franchi avec des risques connus. Les filles peuvent en effet jouer dans des équipes de garçons jusqu’à l’âge de 14 ans en Suisse, et ça continue comme ça jusqu'à 18 ans.

« La Suisse est un pays très sportif et il a vraiment beaucoup à offrir. On adore le ski, la randonnée et le cyclisme. Il y a tellement d'autres sports qu'on peut facilement pratiquer si le rugby n'offre pas un bon potentiel », précise Véronika. « C'est évidemment à ce moment-là qu'on les perd facilement. »

« L’autre grand pas en avant est donc d’aider les clubs à fournir à ces jeunes des structures permettant aux enfants de faire du rugby s’ils veulent continuer à pratiquer ce qu’ils apprennent à l’école. C’est donc un grand pas en avant dans le développement des clubs et, évidemment, à cet âge-là, nous nous intéressons aux filles et aux garçons. Au cours des deux dernières années, nous avons vraiment développé le programme des moins de 16 ans et des moins de 18 ans catégorie compétitions pour les garçons parce que c'est là que nous avions le plus de joueurs. Maintenant, la structure des garçons est en place. Mais la grande priorité est maintenant de créer une structure similaire du côté des filles. »

Membre du Conseil de World Rugby, Véronika Muehlhofer espère construire « une solide pyramide dotée d'une large base qui permettra de donner la priorité à de meilleures performances » dans tous les domaines du Suisse Rugby.

« Le but est de continuer à développer ce sport, évidemment à tous les niveaux », dit-elle. « C’est pour continuer à développer la base de joueurs, chez les enfants, les jeunes et les adultes. Avec cela, évidemment, nous allons continuer à développer les ligues ou le championnat car il y aura plus de clubs, plus d’équipes participantes. Et cela se traduit par une sélection de joueuses de meilleure qualité et plus qualifiée pour l’équipe nationale, ce qui devrait également contribuer au succès des équipes féminines à XV et à 7, surtout à sept, des équipes nationales. »

Photos : FSC Media_RFL, LeMultimedia-ch, iSteffi-ch