Ben Ryan est un faiseur de rois. Et il l'a prouvé notamment lors de la saison 2015-2016 sur le circuit mondial à 7 lorsque les Fidji ont été sacrés champions du monde. Cette saison avait également eu son point culminant avec les Jeux olympiques de Rio. A cette occasion, les Fidji devenaient la première équipe à remporter la médaille d'or en rugby à 7.

Depuis le mois de septembre 2017, l'entraîneur d'origine anglaise est consultant pour l'équipe de France de rugby à 7. Pour World Rugby, il partage sans concession son point de vue sur une équipe en construction. Enrichissant.

 

Comment est venue cette proposition de la fédération française de rugby ?

La FFR m'a contacté à la fin de la saison dernière et m'a demandé mes disponibilités. Ils m'ont dit qu'ils procédaient à quelques changements dans le programme à sept et qu'ils espéraient que je puisse leur donner un coup de main à faire quelques ajustements aussi simples et positifs que possible.

C'est un vrai challenge pour moi car je vais devoir remettre à niveau mon Français, adopter une nouvelle culture. Je constate qu'il y a de bons joueurs et de grandes possibilités. Même si les négociations ont pris un peu de temps, je suis très heureux que nous soyons parvenus à un accord.

Combien de temps va durer votre mission ?

Je suis sous contrat avec la FFR jusqu'à la fin de la Coupe du Monde en juillet et à ce moment-là les deux parties feront le point pour voir si on continue ou non. De mon côté, je m'investis en pensant que ce n'est pas que pour une saison, en espérant que ça continue.

Il y a donc une possibilité que votre contrat soit étendu jusqu'au Jeux olympiques par exemple ?

Je suis très ouvert à ça, oui. Je n'ai participé qu'à un seul stage pour l'instant et j'ai beaucoup apprécié. J'ai pris du plaisir à rencontrer les nouveaux entraîneurs, Christophe (Reigt, le manager de l'équipe, ndlr) et les joueurs. J'ai pu regarder ce qu'ils ont produit lors de leur premier tournoi à Munich (Oktoberfest Sevens, ndlr). Bien que le deuxième match ne s'est pas passé comme on aurait aimé qu'il se passe, j'ai vu un changement dans leur attitude et ça, c'est l'élément principal.

Qu'est-ce que vous entendez par « changement dans leur attitude » ?

J'ai vu qu'ils avaient plus faim dans leur attaque et dans leur défense, un peu plus d'envie de se battre plus durement pour avoir la possession du ballon, dans chaque contact, dans chaque action. Ils n'ont rien lâché et même s'il y a un certain nombre de joueurs qui sont dans l'équipe depuis un moment, c'est toujours une équipe olympique.

Les nouveaux coach mettent leur empreinte sur cette équipe et ça peut prendre du temps quelque fois, mais c'est bien parti car il y a une vraie envie de chaque membre du groupe de devenir meilleur. Ca, c'est que je vois.

"De mon point de vue les joueurs français sont au même niveau que les joueurs anglais..."

Ben Ryan

Cela fait plusieurs saisons que l'équipe de France à 7 oscille entre la 8e et la 11e place mondiale en World Series. Pensez-vous qu'elle peut aller au-delà ?

Si je regarde ce que les joueurs ont donné à un instant t – je les ai vu à l'entraînement, sur quelques matches et bien entendu sur ce qu'ils ont fait les saisons passées – de mon point de vue ils sont au même niveau que les joueurs anglais. Les Anglais sont allés au-delà du Top 8 les deux dernières saisons et il n'y a aucune raison pour que les Français ne soient pas aussi bons que les Anglais.

Le programme anglais est un peu plus avancé que celui des Français, mais les joueurs sont au même niveau et je constate qu'ils vont dans le bon sens. L'objectif doit être de se qualifier en Cup systématiquement car si on ne le fait pas dès les premiers tournois, alors vous vous retrouvez toujours avec deux grosses équipes à battre pour sortir de la poule, que ce soit les Fidji, la Nouvelle-Zélande ou l'Afrique du Sud. Il est primordial d'avoir un bon départ. Ca ne va pas être simple car il y a pas mal de nouveaux joueurs dans l'équipe, mais je sens que cette équipe a le potentiel d'accéder au Top 4 ou 5. Ils ont ça en eux. Je ne dis pas que ça va arriver vite, je dis juste qu'ils ont le potentiel pour y arriver.

Ca va être une longue saison avec San Francisco à la clé. Comment on se prépare pour ça ?

Effectivement, ça va être une très longue saison. Mais la France ne va pas disputer les Jeux du Commonwealth, ce qui est déjà une bonne chose. D'autres équipes auront les Jeux du Commonwealth et le format de la Coupe du Monde est tout à fait nouveau. Il y aura moins de matches et je ne pense pas que l'état de forme des équipes sera un élément clé dans cette compétition. Il y aura beaucoup de surprises, de chocs et de retournements à la Coupe du Monde et je pense que c'est l'opportunité pour la France, à la fin de la saison, de se concentrer sur leur objectif final et de bien performer à la Coupe du Monde.

"Je sens que cette équipe a le potentiel d'accéder au Top 4 ou 5. Ils ont ça en eux. Je ne dis pas que ça va arriver vite, je dis juste qu'ils ont le potentiel pour y arriver."

Ben Ryan

Pensez-vous que votre regard sur l'équipe de France a changé depuis 2016 ? Vous avez constaté que les Français avaient plus faim. Pensez-vous qu'ils ont plus d'ambition ?

Si on regarde le temps où je travaillais pour l'Angleterre (entre 2007 et 2013, ndlr) et si je devais écrire un rapport sur la situation, je dirais que la France avait de bons joueurs, mais qu'ils étaient incroyablement irréguliers ; lorsqu'ils marquaient, alors ils y allaient à fond et gagnaient le match. Ce n'était pas toujours le cas mais c'était vraiment très irrégulier. En même temps, on pouvait voir sur certains tournois – et ça s'est passé à Dubaï comme en Afrique du Sud – que lorsque la France était sur une bonne vague, elle gagnait en confiance et elle commençait à gagner des matches.

J'ai entraîné l'Angleterre qui a battu la France en finale à Dubaï. La France s'est également qualifiée pour la finale en Afrique du Sud une année. Cette confiance a donc beaucoup à voir avec leur mental. Mais peut-être y a-t-il ce sentiment sous-jacent qu'ils ne se sentent pas au niveau de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, des Fidji, de l'Afrique du Sud, de l'Angleterre et qu'ils devraient plutôt être dans le deuxième groupe. Mais je peux vous l'assurer : ce n'est pas le cas, compte tenu de ce que je vois.

J'ai discuté avec les entraîneurs, le staff médical, l'encadrement et les joueurs et ils ont tous le niveau pour affronter des équipes du niveau de l'Angleterre. C'est donc une affaire d'application, de confiance, de ne négliger aucun détail. J'espère que je vais pouvoir apporter mon aide sur quelques éléments techniques que l'on peut améliorer. A Munich, ils faisaient déjà un peu plus de offloads, leur défense était un peu plus haute, mais il y a encore à travailler.

Les entraîneurs sont sur la même longueur d'ondes. Je m'entends très bien avec Jérôme (Daret, l'entraîneur, ndlr) et je pense que nous avons la même vision du jeu. Je suis à un point de ma carrière où je ne mets pas de gants, je vais leur dire exactement ce que je constate ; si je vois qu'ils ne font pas bien, je vais aussi le dire. Si le planning n'est pas bon, je vais leur dire, si je vois que quelque chose ne se passe pas bien sur le terrain d'entraînement ou dans la préparation physique, je vais le dire.

"Je pense que je vais être un bon contrôleur qualité pour être sûr qu'ils ne perdent pas de temps sur des méthodes qui n'apportent aucun résultat."

Ben Ryan

Je pense que je vais être un bon contrôleur qualité pour être sûr qu'ils ne perdent pas de temps sur des méthodes qui n'apportent aucun résultat.

C'est vraiment excitant et je prends beaucoup de plaisir avec les joueurs. Ils ont des hauts et des bas, mais si on peut aller jusqu'au bout des tournois, monter au classement des World Series cette année, avoir un bon tournoi à Hong Kong et une bonne Coupe du Monde, alors on posera les fondations pour l'année d'après qui sera capitale avec la qualification pour les Jeux olympiques.

Est-ce que vous voyez un parallèle entre votre mission aujourd'hui et le début de votre coaching pour les Fidji à l'époque ?

Je pense que c'est différent pour beaucoup de raisons. Par exemple, dans les premières semaines de mon contrat avec les Fidji (entre 2013 et 2016, ndlr), nous n'avions pas d'argent ; il n'y avait aucun joueur sous contrat et la fédération était en cessation de paiement. La tâche était bien plus grande, mais les joueurs avaient confiance et avaient joué énormément au 7. Une chose qui est d'ailleurs un inconvénient pour les Français, c'est qu'il n'y a pas d'histoire avec le 7 en France, contrairement aux Fidji où tous les joueurs disputent des tournois tout le temps. En France, le 7 n'est pas énorme et je sais que la FFR essaye d'améliorer la situation, en ajoutant au calendrier des tournois et des compétitions.

Le point commun, c'est que j'arrive ici pour identifier les domaines où je peux aider, où on peut s'améliorer, où il y a de la force, où il y a des faiblesses. Je peux très vite voir les ajustements à faire sur et dehors du terrain et ça peut faire toute la différence.

Ils vont avoir une saison difficile, mais ils peuvent également y prendre beaucoup de plaisir. Ils doivent regarder l'objectif sur le long terme et ne pas se décourager par les premiers résultats. Ils vont devoir s'améliorer.

Où en est votre Français ?

Et bien, je n'arrête pas de demander aux autres de ne me parler uniquement en Français parce que c'est le seul moyen de m'améliorer. Dans les écoles en Angleterre on apprend le Français, mais je prends aussi des cours en ce moment auprès d'une dame à Paris qui aide d'autres joueurs internationaux à la conversation en Français. J'ai aussi des amis français en Angleterre avec qui je discute. Je regarde des films en Français et j'essaie de faire de mon mieux. Bien sûr, c'est plus facile lorsque je suis en France et j'ai besoin d'y passer beaucoup de temps. Mon objectif est qu'à la fin de la saison je puisse passer une journée entière à parler Français !