Le commentateur et ancien international français de Rugby à 7 Jean-Baptiste Gobelet revient en exclusivité pour World Rugby sur les 7 points à retenir du tournoi de Singapour qui a vu le Canada remporter son premier titre de la saison face aux USA et la France terminer à la 11e place (12e du classement général).

Point 1 : Le relâchement des Big 4

« Sur l'ensemble des World Series, il y a une franche décompression des équipes après le tournoi de Hongkong. Ça s'est confirmé encore une fois sur cette édition 2017 où on voit une équipe qui gagne sa Cup pour la première fois (le Canada, ndlr). C'était déjà le cas l'année dernière (le Kenya, ndlr). Ca prouve le

relâchement des Big 4 (Afrique du Sud, Fidji, Nouvelle-Zélande et Angleterre) et donc forcément un niveau un peu en dessous par rapport aux autres tournois du circuit. On a vu beaucoup de fautes de main, de turnovers, de stats d'erreurs techniques qui allaient dans ce sens.

« Le tournoi de Hongkong est un indicateur majeur du niveau mondial actuel ; c'est LE tournoi de la saison, équivalent aux grands événements comme la Coupe du Monde ou même les jeux Olympiques. Toutes les équipes sont focalisées sur ce rendez-vous. Il y a énormément de pression et d'intensité sur les trois jours. L'Afrique du Sud a assuré son sacre avec 25 points d'avance sur les Fidjiens.

« Ce tournoi de Singapour permet aussi aux autres équipes extérieures au Top 5 de briller comme le Canada ou le Kenya. Les grosse équipes ont lancé un peu leurs jeunes joueurs sur le Singapore Sevens et forcément il y a eu une grosse envie des autres équipes. Ça confirme ce qu'on avait déjà vu en 2016. Rappelez-vous les victoires des Samoa à Paris et des Écossais à Londres en 2016 ; je pense qu'il y aura les mêmes surprises cette année où on verra des équipes comme les USA ou le Kenya, le Pays de Galles ou l'Ecosse gagner un tournoi. Il reste deux tournois qui vont permettre à beaucoup d'équipes de jouer les quarts de finale et le Top 4, de récupérer des points. Les Français vont réagir et vont pouvoir profiter de l'opportunité pour accéder aux demi-finales devant leur public. »

Point 2 : La surprise canadienne

« C'est une bonne surprise ! Le Canada a joué parfaitement sa partition après avoir été très performant à Hongkong où il s'est invité en quart de finale et a terminé dans le Top 8. L'équipe a été très solide à Singapour en mettant à mal les All Blacks en quart de finale (26-14, ndlr) et l'Angleterre en demi-finale (17-5, ndlr). Ce n'étaient pas des victoires à l'arrache, mais des victoires assez larges. Les Canadiens ont eu un parcours assez flamboyant et assez clair. Ils étaient là pour performer à l'image d'Hirayama (2e meilleur marqueur de points du tournoi avec 41, derrière le Fidjien Waisea Nacuqu, 47 points, et devant l'Américain Perry Baker, 40 points, ndlr). C'est l'équipe qui a fait le moins d'erreurs techniques sur l'ensemble du tournoi (avec l'Afrique du Sud et l'Australie ; un seul carton jaune, ndlr).

« Ensuite, en finale contre les Américains (26-19), ils ont eu un avantage mental supplémentaire. Selon moi, le fait de mettre les USA face à eux les a vraiment inhibé. Les Américains ne s'attendaient absolument pas à avoir le Canada en finale et ça les a plongé dans le doute dès la préparation. Cette finale a donné un surplus d'envie aux Canadiens. »

Point 3 : Damian McGrath, le faiseur de rois

« Le Canada avait commencé la saison en bas du tableau. Après John Geraint de 2010 à 2014 avec qui le Canada avait fait un super parcours pendant quatre ans et après Liam Middleton qui a pris les rênes en terme de coaching, Damian McGrath est arrivé en octobre 2016 et ça a complètement changé la donne.

« A la base, c'est un Anglais, coach de Rugby à XIII. En tant qu'entraîneur assistant de l'équipe de rugby à 7 d'Angleterre il a remporté quatre fois le Hongkong Sevens entre 2001 et 2006, il a fait les Jeux du Commonwealth, la Coupe du Monde. Il a réussi au 7 avec son expérience d'entraîneur de rugby à XIII. Et après ça, il est parti au XV avant de revenir au rugby à 7. Au bout de six mois il a mené l'équipe des Samoa en finale de Cup et à un titre à Paris. Suite à quoi il a été débauché par l'équipe du Canada. Il fait partie du club très sélect des entraîneurs qui ont gagné deux fois une Cup, avec deux équipes différentes. Mike Friday et Ben Ryan – deux autres Anglais ! - en font partie.

« Ça prouve toute la qualité du coach, mais aussi qu'en changeant l'entraîneur en gardant la même équipe, on peut réaliser des choses incroyables. C'est un coach de classe mondiale qui a réussi à emmener l'équipe du Canada au plus haut alors qu'elle est présente dès le début : c'est son premier titre en 140 tournois, c'est historique !

« C'est grâce à l'apport de ce coach étranger que le Canada en est là actuellement, sachant qu'au début ils étaient autour de la 10e, voire 12e place mondiale. »

Point 4 : Le poids des blessés

« L'équipe de France a été très diminuée ; ils ont terminé à huit joueurs. Mais on a aussi vu l'Australie terminer à sept, comme les Gallois qui ont gagné la Bowl. Les Blacks et les Sud-Africains ont également perdu des joueurs. C'est un tournoi où il y a eu énormément de blessures. C'est lié aussi au relâchement consécutif au tournoi de Hongkong, à la fatigue de la saison comme au climat de Singapour.

« Quand on a trop de temps de jeu sur le World Series, forcément on met le joueur physiquement en danger et c'est pourquoi il y a eu autant de joueurs blessés. Au rugby à 7, dès qu'on est un peu sur de la grosse fatigue, on le paie cash.

« La contrepartie, c'est qu'on a pu voir de jeunes joueurs sortir et avoir un temps de jeu un peu plus important. Mais c'est dommage d'être obligé d'en passer par-là. Quand on fait une mauvaise gestion des joueurs, derrière il y a des répercussions assez énormes car on se prive de belles performances sur de gros tournois. »

Point 5 : le Pays de Galles : Un jeu à l'économie qui gagne

« Le Pays de Galles a terminé le tournoi à sept joueurs, presque autant que les Français et ils gagnent quand même la Bowl contre l'Ecosse (12-24, ndlr). Les Gallois aussi ont été dans le dur. Ils ont un joueur incroyable : Sam Cross, qui a été élu joueur DHL Impact player du tournoi (32 ballons portés, 17 offloads, 17 plaquages, ndlr).

« Ce n'est pas une équipe flamboyante, pourtant, avec les peu de joueurs qu'ils ont, ils ont montré un jeu collectif intéressant. Ils ont une façon particulière de gérer le match : ils ont joué à l'économie, il y a eu du coup pour coup et ils ont réussi à faire craquer les Écossais. Les Gallois m'ont beaucoup impressionné par rapport au courage qu'ils ont développé. »

Point 6 : Les jeunes débarquent et préparent déjà la suite

« Il existe un réservoir de 40 joueurs en Angleterre et on a vu de nouveaux noms arriver. Quand on parle de ces jeunes joueurs qui arrivent – les baby Boks, les baby Blacks... - ce sont des joueurs au profil très différent de ce qu'on avait depuis le début et de fait, on a vu des systèmes de jeu intéressant à voir. On voit qu'il y a des tests qui se font sur ces tournois (les derniers de la saison après Hongkong, ndlr) et ça ne m'étonnerait pas de voir à Paris ou Londres tester de nouveaux systèmes.

« Ces Big 4 préparent aussi les Jeux du Commonwealth (sur la Gold Coast, en Australie, en avril 2018, ndlr) et la Coupe du Monde à la suite (en juillet 2018 à San Francisco, Etats-Unis, ndlr). Il y a donc deux événements à gérer et tout un système, tout un squad à mettre en place pour ça. L'Angleterre et l'Australie par exemple ont à gérer l'effectif pour ces deux événements et le World Series tout en essayant de rattraper leur retard par rapport aux grosses nations. »

Point 7 : Sur le World Series, l'envie ne fait pas tout

« Les Français ont été décevants pour la 8e fois d'affilée à Hongkon. Et là, ils prennent l'Angleterre d'entrée (victoire 14-24, ndlr), puis ils perdent de trois points contre l'Afrique du Sud (10-7, ndlr). Les Français ont joué leur coup à fond, même contre l'Argentine (24-26 en quart de Trophy le deuxième jour, ndlr). Ils ont joué avec beaucoup de courage, ils étaient très entreprenants. On avait des jeunes joueurs comme Pierre Popelin, Jean-Pascal Barraque, Alexis Palisson. Ils ne s'entraînent pas tous les jours avec l'équipe de France et ils arrivent sur le circuit et ils ont été bons !

« Le Japon, c'est l'équipe la plus faible des World Series. C'est une équipe qui a gagné six matches sur ses quarante derniers matches cette saison : contre le Canada (19-7 à Sydney, ndlr), le Chili (24-7 à Las Vegas, ndlr), la Russie (21-0 à Vancouver, ndlr), la Corée (36-7 à Hongkong, ndlr), le Pays de Galles (28-21 à Hongkong, ndlr) et la France (14-21 à Singapour, ndlr). Le ratio de victoire est très faible.

« Je n'ai rien à redire aux joueurs car même dans le rouge ils ont joué à fond. Mais on ne peut pas jouer uniquement au mental et à l'envie. Il doit y avoir autre chose derrière. L'aspect émotionnel peut vous faire gagner un match, mais pas un tournoi. Il y a surtout un besoin d'un système clair et précis spécifique au 7 prodigué par le coach.

« L'équipe de France a montré un visage rafraîchissant avec notamment Popelin qui a été brillant sur l'ensemble du tournoi et qui n'a pourtant pas trois minutes de rugby à 7 dans les pattes ! Palisson, qui est arrivé juste pour Singapour, a été très intéressant, disponible sur les zones de franchissement, les contre-rucks. JB Mazoué a été très présent aussi dans les zones de combat comme en termes de leadership ; il a tenu la baraque. Sacha Valleau confirme sortie après sortie. La sélection sera rude pour le Paris 7s.

« Il y a eu de belles séquences côté français, mais l'envie ne fait pas tout sur le World Series. Au bout du compte, on a fait trois matches de haut niveau sur cinq et ça ne mérite pas d'aller en Cup. On peut trouver toutes les excuses du monde, mais ça fait huit ans que c'est pareil. Pourtant, le niveau des joueurs n'est pas très éloigné de celui du Canada. »