On ne reverra plus Jessy Trémoulière sur les terrains de rugby avec le XV de France féminin. Jess a fait ce choix avant que ne débute le Tournoi des Six Nations féminin 2023 pour privilégier son métier d’agricultrice en reprenant l’exploitation familiale en polyculture élevage bio en Haute-Loire avec son père et son frère.

« Mon père arrive à 68 ans et il ne peut plus prendre mon relais quand je m’absente longtemps pour rejoindre le XV de France », avait-elle alors justifié en mars à Midi Olympique. « Quatre jours, une semaine ou deux cela va encore, mais là je vais partir trois semaines avec les Bleues et ça fait beaucoup. »

Mais avant de partir, elle souhaite passer un dernier message fort à ses partenaires, actuelles et à venir. Un message tiré de l’exceptionnelle expérience qu’elle a accumulée au cours de ses 78 sélections (depuis le 29 octobre 2011). Une expérience avec des hauts et des bas.

Les hauts, c’est notamment ses deux grands chelems en 2014 et en 2018. Deux années qui comptent beaucoup pour elle. 2014 parce que c’était la troisième place à la Coupe du Monde de Rugby en France (elle en a eu deux autres depuis en 2017 et en 2022). « C'était le déclic sur l’élan médiatique, en tant que téléspectateur et spectateur », dit-elle. Et 2018 avec la première victoire de la France contre les Black Ferns de Nouvelle-Zélande, alors quintuple championnes du monde, à Grenoble. « On a aussi fait un Tournoi où personnellement, je me suis régalée et collectivement ça reste des très beaux souvenirs. C'est ce qui est beau, c'est qu'on puisse en reparler cinq ans, dix ans après. Il faut dire que chaque année, j'ai eu des beaux souvenirs avec le groupe », se remémore-t-elle.

Les bas, c’est notamment la dernière Coupe du Monde de Rugby en date où sa sous-utilisation a fortement surpris. Ou encore son carton jaune lors de son ultime match le 29 avril dernier à Twickenham devant un public record de plus de 58 000 spectateurs. Comme quoi on peut être la meilleure et toujours faillible.

« JE LEUR LAISSE TOUT ÇA DANS LES MAINS… »

Jessy – aussi surnommée « la Duchesse » par Lise Arricastre en référence à une chanson paillarde où sont évoqués les drôles d’exploits d’une « duchesse de la Trémouille » - ne sera plus sur les terrains pour écrire les chapitres de cette nouvelle génération qui arrive et qu’elle regardera désormais depuis les tribunes. Mais avant, elle tient à transmettre ce qu’elle a appris.

« Le rugby, ça reste du sport, un sport entre copines, entre amies », dit-elle alors que la pratique féminine ne cesse de battre des records et d’attirer les foules. « Je suis contente pour l'avenir, pour les filles qui vont connaître ça. Pour le rugby féminin mondial. On voit qu'il y a vraiment un élan de solidarité de gens qui veulent venir voir du rugby féminin.

« Remplir avec autant de monde… En France, on a fait des guichets fermés (à Vannes et Grenoble, ndlr). C'est vrai qu’avec tout l'engouement qu'il y a autour c'est du plaisir. C'est du bonheur de voir autant de gens dans les tribunes avec le sourire, à nous encourager. A la fin, quand on fait le tour d'honneur, de voir autant de gens épanouis et nous dire merci, c'est un pur bonheur et j'espère que ça va se réitérer dans les années à venir. 

« On a eu un groupe qui était vraiment solidaire, qui était vraiment soudé. On était des amies sur le terrain, on était des copines et c'est là où j'ai vécu mes meilleurs moments. Donc si jamais j’ai un message à passer, c'est vraiment de profiter de tout, de vraiment d'être un groupe uni et de s'amuser sur le terrain.

« L’image que je voulais laisser, c'est une image assez positive, mettre les filles sur de bons rails, de voir ce que c'est le haut niveau, de voir jusqu'où on peut aller. Je leur laisse tout ça dans les mains et j'espère qu'elles prendront conscience qu'il faut beaucoup travailler pour s'amuser. Et après, sur le terrain, on s'amusera d'autant plus. »

Un message reçu cinq sur cinq par la troisième-ligne Charlotte Escudero qui vit cette montée du rugby féminin à défaut de l’avoir vu naître. « Nous, on découvre. C'est vrai qu'on remplit les stades de ce Six Nations en France. On est passé de 11 000 à 18 000 et maintenant 58 000. Donc oui, c'est dingue », confie-t-elle.

« Je me souviens quand il y a eu la Coupe du monde, c'était en 2014 ici (en France, ndlr), j'étais venue ici et il y avait un petit peu de monde autour du stade de Marcoussis. Les gens étaient debout à côté du stade et maintenant on remplit des stades de 58 000 personnes. »

MEILLEURE JOUEUSE DE LA DECENNIE

Pour cette nouvelle génération de joueuses qui arrive, Jessy reste un modèle. « Jessy, c'est un nom qu'on entend depuis des années dans le rugby féminin. Forcément, elle a marqué le rugby féminin », admet l’ailière de Blagnac Mélissande Llorens qui a explosé sur ce Tournoi 2023.

« On a la chance d'avoir pu jouer à ses côtés. C'est une très grande joueuse. Et franchement, Jessy, c'est la maman du groupe. Comme elle l'a dit, elle essaye de mettre le groupe dans les meilleures conditions, de nous apporter son savoir, son expérience. Elle va nous laisser tout entre les mains et ce sera à nous de mettre les choses en place dans la continuité de Jessy. »

« Tout le monde connaît Jessy Trémoulière », ajoute Charlotte Escudero. « C'est vraiment la pièce maîtresse de l'équipe de France depuis des années. Ça n'a pas été un modèle pour moi personnellement parce qu'on ne joue pas au même poste, mais c'est vrai que ça a été une figure du rugby français que tout le monde connaît et que moi, j'ai adoré quand j'étais plus jeune. Et maintenant de jouer à ses côtés, c'est vraiment dingue. Quand on est piloté par Jessy Trémoulière, c'est différent. »

Par son exemple, Jessy a clairement démontré que c’est par le travail qu’elle a été sacrée Joueuse World Rugby de la Décennie en 2020 à la faveur du public – Richie McCaw était son pendant chez les hommes – deux ans après avoir été couronnée Joueuse World Rugby de l’Année 2018.

Malgré la défaite contre l’Angleterre lors de la dernière journée du Tournoi des Six Nations, elle est devenue, en passant trois pénalités, la meilleure marqueuse de points de tous les temps pour la France dans cette compétition (288), juste devant Estelle Sartini (282) qui détenait ce record depuis 2006.

Au total, Jessy a marqué 428 points sur tous les terrains du monde grâce à un jeu au pied exceptionnel – « un jeu au pied égal à celui des garçons ; c’est énorme », saluait son ancienne sélectionneure Annick Hayraud – soit 26 essais, 36 pénalités et 95 transformations. Malgré 24 défaites, Jessy aura remporté 53 victoires avec le XV de France féminin.

Le bilan est plus mitigé avec France 7 avec qui elle a disputé 25 matchs sur le circuit mondial entre 2016 et 2018, marquant 7 essais au cours de 15 victoires et dix défaites.

Mais à XV, ses plus grandes rivalités restent l’Angleterre qu’elle a joué le plus, à vingt reprises, ne gagnant que six fois pour accuser 14 défaites. Elle exprime un regret au passage : ne pas avoir pu jouer contre Emily Scarratt lors du dernier Crunch le 29 avril. « C'est vrai qu'on s'est suivies pratiquement toute notre carrière et c'était de très beaux duels », avait-elle confié lors de l’annonce des équipes.

La Nouvelle-Zélande (invaincue en deux rencontres) et le Canada aussi (une seule victoire en quatre matchs) restent les équipes contre lesquelles elle a adoré jouer.

Si l’arrière et demie d’ouverture a décidé de raccrocher les crampons, ce n’est que partiellement tant son désir de jouer reste fort. A 31 ans, elle compte bien continuer encore un peu à jouer pour le club de Romagnat avec lequel elle joue depuis 2010. Allez, encore une saison pour le plaisir et pour s’amuser et après ce sera terminé.