Y a-t-il un bon moment pour lancer des débutantes dans le grand bain international ? Le faire sur un Tournoi des Six Nations est-il un pari risqué ? Le duo d’entraîneurs-sélectionneurs du XV de France féminin – Gaëlle Mignot et David Ortiz – ne s’est pas posé la question trop longtemps. Récemment nommés à leur poste, ils ont dû mettre en place une équipe très rapidement pour entamer leur premier Tournoi des Six Nations et lancer un nouveau cycle qui les mènera à la Coupe du Monde de Rugby 2025 en Angleterre.

Ils ont fait preuve d’audace en redistribuant les cartes et en titularisant d’emblée deux jeunes joueuses à des postes clés dans l’animation offensive tricolore : la demie d’ouverture Carla Arbez (23 ans) pour remplacer Caroline Drouin partie en tournée avec France 7 féminin et l’arrière/demie d’ouverture Morgane Bourgeois (20 ans tout juste), à la place d’Emilie Boulard.

La première a vécu sa première cape lors de la victoire en Italie (12-22) et la seconde lors de la victoire en Irlande une semaine plus tard (3-53), devenant respectivement les 395e et 399e internationales françaises.

Les deux sont partenaires à Bordeaux – actuellement en tête du championnat Elite 1 - et sont amenées à partager le même poste. Carla a été formée à l’Oléron Rugby Club dès l’âge de 7 ans et n’a jamais fait autre chose, alors que Morgane a été initiée à Parempuyre (Gironde) dans l’école de rugby créée par son père.

Même si le rugby a été son premier choix, elle a décidé de le mettre de côté pour jouer au foot avec les Girondines avant d’abandonner le ballon rond pour retrouver le ballon ovale – elle avait alors 10/11 ans - où, depuis, elle ne cesse d’exceller.

Des joueuses dans le viseur depuis un moment

« Carla est une joueuse que l'on suit dans le championnat depuis quelques mois », expliquait David Ortiz avant le déplacement en Irlande. « C'est une joueuse qui a pris énormément de maturité dernièrement avec son équipe de Bordeaux et qui nous semblait prête pour pouvoir être lancée dans le grand bain. [Lors de la première journée], ça n’a pas été un match évident pour elle parce qu'on sait toujours que les matchs en Italie sont difficiles malgré tout. »

« Mais on estime qu’elle a su distribuer et plutôt bien alterner le jeu et utiliser de manière assez juste la main et le pied. Parce que son entrée a été plutôt positive, notre volonté a été de rester dans cette continuité-là », assurait-il pour justifier sa deuxième titularisation en Irlande.

Au terme de ses deux premières sélections, Carla Arbez compte 107 minutes de jeu contre 80 pour Morgane en une sélection. Les deux ont été reconduites dans le groupe des 36 qui prépare la suite du Tournoi dont le prochain choc le 16 avril face à l’Ecosse au Stade de la Rabine, à Vannes.

« C'est toujours difficile de faire des bonnes prestations en championnat avec ton club, et puis de sortir la même prestation sur la scène internationale », nuance Laura Di Muzio, commentatrice du rugby féminin sur France Télévisions.

« Et vraiment, pour une première sélection, certes contre l'Italie, je trouve vraiment qu'elle [Carla Arbez, ndlr] a fait une belle partie. Et en plus, sans surjouer, elle est restée calme, elle est restée dans son rôle de demie d'ouverture en première mi-temps, avec une très bonne gestion avec le vent contre, un jeu au pied qui pour moi est très prometteur. Tu sens qu'il y a une longueur de jeu au pied, qu'il y a une aisance technique. J'attends, j'ai hâte et j'espère qu'elle sera titulaire sur les prochains matchs pour la voir évoluer, la voir grandir. »

Bourgeois alterne avec les U20

Après son match plein en Irlande le 1er avril, Morgane Bourgeois n’a pas eu droit à la pause imposée par le Tournoi et a tout de suite enchaîné avec les U20 en Angleterre pour une confrontation le 8 avril. Elle y a notamment retrouvé Elisa Riffonneau qui, elle aussi, avait vécu sa première cape en Irlande (devenant la 400e internationale française), pour une victoire 35-17. Un troisième Crunch consécutif pour elle.

Très tôt détectée comme « fort potentiel », Morgane « Momo » Bourgeois a eu le temps de briller avec les moins de 20 ans, étant la capitaine lors de sa première saison (2021-2022), avant de faire partie du groupe de préparation à la Coupe du Monde de Rugby 2021 à l’été 2022 sans pour autant partir en Nouvelle-Zélande.

Elle s’était consolée en partant avec France 7 féminin Développement à Dubaï chercher de l’expérience de haut niveau lors du International Invitation Women début décembre où l’équipe a terminé à la cinquième place. « Un résultat décevant », avait alors souligné Morgane.

Autant dire que sa titularisation avec le XV de France féminin n’était qu’une question de jours…

De quoi confirmer les choix osés de Mignot-Ortiz. « Oui, ça pouvait paraître osé. Mais en fait, pour moi, c'était le bon moment pour le faire parce que c'était l'Irlande », appuie Laura Di Muzio.

« C'est un match qui était clairement à notre portée et c'est comme ça qu'il faut lancer les plus jeunes. Si tu les fais commencer tout de suite contre l'Angleterre avec une énorme pression, forcément, elles ne sont pas dans les meilleures conditions. Là, c'est les meilleures conditions pour démarrer. Comme la semaine précédente pour Arbez, là, c'était Bourgeois.

« C'était la bonne façon pour elle de se lancer dans le grand bain. Elle s'en est très bien sortie, un peu moins à l'aise techniquement (un 2/5 face aux poteaux, ndlr). Il y a eu quelques petits déchets sur des passes ou sur des réceptions. Mais de manière générale, pour un premier match a à peine 20 ans, elle fait une prestation correcte. »

Photo : France Rugby / Julien Poupart