Lorsque le staff de l’équipe féminine de rugby à 7 de Madagascar a changé il y a trois mois, les filles ont vite compris qu’elles n’allaient pas toujours rigoler. En 2021, elles avaient participé au tournoi de repêchage olympique à Monaco, mais avaient échoué à se qualifier pour Tokyo 2020. Seules quatre joueuses de l’actuelle équipe avaient fait le déplacement et ont su profiter de cette expérience.

Mais de profonds bouleversements dans l’encadrement sont intervenus et la préparation pour la qualification à la Coupe du Monde de Rugby à Sept 2022 au Cap a soudainement pris une tournure plus qu’exigeante.

« Ce qui a changé, c’est qu’on a instauré une discipline de fer ; la discipline, c’est ce qui nous manquait un peu. On leur a inculqué l’humilité, le travail, le sens du sacrifice pour arriver aux objectifs. Pas de sacrifice, pas de résultat. »

Celui qui parle, c’est Zaka Ravelonanosy, le préparateur physique de l’équipe ainsi qu’entraîneur adjoint, mais surtout… ancien légionnaire pendant 19 ans. Dans le nouveau staff, on compte également un ancien policier. Et ainsi on comprend pourquoi les filles n’ont pas dû rigoler tous les jours… « Mais elles ont compris le pourquoi », sourit aujourd’hui Zaka Ravelonanosy.

Le coup de Jammel

Tout s’est joué sur le Rugby Africa Women’s Sevens (29-30 avril) à Jammel, en Tunisie, qualificatif pour la Coupe du Monde de Rugby à Sept 2022 en Afrique du Sud. Outre la Tunisie, huit autres équipes avaient pris part à ce tournoi : l’Ouganda, le Ghana, le Kenya, le Sénégal, le Zimbabwe, Madagascar, la Zambie et l’Afrique du Sud.

« Il y avait une excitation énorme, mais aussi beaucoup de pression car participer à une qualification pour une Coupe du Monde, c’est énorme », se rappelle Zaka. « Au fond de nous, on savait qu’on avait une chance, mais on n’allait pas le chanter sur les toits ! On a mis les joueuses sous pression et on a essayé de les garder comme ça pour qu’elles aient une confiance maximale. On leur a répété qu’elles jouaient pour l’honneur du pays, qu’une qualification serait historique. Mais qu’en face, toutes les équipes avaient le potentiel de se qualifier aussi. »

Malgré ses faibles moyens techniques pour préparer au mieux le Rugby Africa Women’s Sevens, le staff décide de passer en mode tournoi. Quatre entraînements par semaine, sur deux jours à chaque fois avec une période bloquée pour les joueuses la dernière semaine.

Il y a un objectif principal, celui de gagner. Mais aussi un objectif plus élevé : se qualifier pour le Cap. Dans la Poule C, les Ladies Makis battent le Ghana (29-5) puis la Tunisie (7-5) et enfin la Zambie (14-10) en quart de finale. Tout allait se jouer sur la demi-finale face à l’Ouganda.

Madagascar ouvre le score au bout de deux minutes et garde les rênes du match jusqu’à un carton jaune qui permet à l’Ouganda de relever la tête et de reprendre l’avantage 7-5 à la pause.

« A la pause, on leur a dit de continuer à jouer, de ne surtout pas se crisper, d’arrêter de jouer individuel et de jouer collectif. Elles se sont regroupées, elles se sont regardées dans les yeux. Sur le bord du terrain, nous sommes restés lucides, nous avons continué à leur donner les consignes. On n’avait pas le droit de leur montrer qu’on n’y croyait pas. On devait y croire. Et je dois dire qu’elles sont allées puiser au plus profond d’elles-mêmes », se souvient Zaka Ravelonanosy.

A cinq minutes de la fin, l’Ouganda domine toujours, profitant que Madagascar ne joue plus qu’avec cinq joueuses. A 12-5, la suite s’annonce mal pour les Ladies Makis. Mais à la dernière minute, l’équipe est enfin au complet et l’improbable se produit sur le dernier ballon. Les Ladies Makis parviennent à décrocher le nul pour envoyer le match en prolongation.

En marquant le premier essai en mort subite, Madagascar l’emporte 17-12 et se qualifie du même coup pour la Coupe du Monde de Rugby à Sept qui a lieu au Cap du 9 au 11 septembre 2022. Un exploit d'autant qu'une seule place était disponible pour la région !

Des bas quartiers au statut de stars

Une explosion de joie et de larmes a alors soudé encore plus l’équipe et le staff. Elles y étaient parvenues. Ne restaient plus qu’un match à jouer, contre l’Afrique du Sud, « un mythe » pour cette jeune équipe. Les Ladies Makis ont été à la hauteur en ne s’inclinant que 14 à 15.

« Cette qualification nous a fait rentrer dans le giron mondial des équipes à sept », affirme Zaka. « Nous sommes fiers et à la fois humbles car après tout ce n’est que la première marche d’un escalier très long. Maintenant, il nous faut être réguliers dans nos résultats. »

Dans les jours qui ont suivi, les filles ont été immédiatement élevées au rang de stars tant cette qualification historique pour ce pays où le rugby est loin d’être un sport majoritaire a marqué les esprits.

Un véritable choc pour toutes ces filles issues des bas quartiers dont certaines sont mères au foyer ou vendeuses à la sauvette. D’où une fierté décuplée. Un accompagnement psychologique leur permet de « ne pas prendre la grosse tête ».

Des dizaines de sollicitations médiatiques, une réception par le président lui-même qui a promis une enveloppe financière et la réfection du stade de la capitale aux normes internationales pour y organiser des tournois mondiaux.

Soudain, un projet plus ambitieux a pris corps : organiser un tournoi de rugby à sept avec les autres fédérations pour multiplier les rencontres, augmenter les temps de jeu et faire progresser toutes les équipes avec l’objectif d’intégrer un jour le HSBC World Rugby Sevens Series.

Objectif : le Cap

En attendant, il y a une compétition à préparer et pas des moindres : la Coupe du Monde de Rugby à Sept 2022.

Depuis ce mercredi 11 mai, les Ladies Makis ont repris le chemin de l’entraînement. Grâce à leur qualification, elles bénéficient d’ores et déjà d’un meilleur accompagnement. Déjà un soutien nutritionnel « car certaines n’ont pas les moyens de faire trois repas par jour », soupire le préparateur physique. Ensuite, du matériel est annoncé : des boucliers, des sacs de plaquage… De quoi bien travailler sur un terrain de bonne qualité.

Les liens avec l’équipe à XV vont se renforcer et des va-et-vient des joueuses seront instaurés afin d’apporter plus de profondeur dans les rangs de l’équipe à 7 et de créer une concurrence à tous les postes pour mieux challenger les filles. Trois semaines de période bloquée est même prévue à l’approche du tournoi majeur. En juillet et août, l’intensité de la préparation sera maximale.

Une nouvelle ère commence pour celles qui, d’ores et déjà, ont marqué l’histoire du rugby à sept malgache. « Ces douze joueuses auront leur nom gravé à l’entrée du stade », promet Zaka Ravelonanosy.

Crédit photo : Fédération malgache de rugby