Longtemps Pratab Kundu s'est levé de bonne heure, affamé, anxieux et sans endroit qu'il pouvait appeler maison. L'incessant va-et-vient des trains faisait partie de la bande-son de son enfance, allongé sur le béton d'une des stations de Calcutta.

Toute personne vivant dans un endroit plus privilégié du monde penserait que ces conditions de vie sont inimaginables pour un gamin de six ans comme lui. Mais des comme lui, il y en a plus de 100 000 dans les rues de l'Inde.

Rejeté par son beau-père et maltraité, Pratab n'envisageait pas un avenir radieux. Mais c'est par le sport qu'une éclaircie est arrivée dans sa vie. Un jour, l'étudiant en gestion du sport a accepté une place dans une auberge de jeunesse locale soutenue par le gouvernement, et c'est ainsi que le rugby est entré dans sa vie.

Un avenir meilleur

« Je voulais avoir un avenir meilleur, je ne me voyais pas vivre ainsi pour le reste de ma vie », raconte aujourd'hui le jeune gaillard de 24 ans. « Le sport m'a enseigné de ne jamais abandonner lorsqu'une opportunité se présentait. »

Comme la majorité des 1.4 milliards d'habitants de l'Inde, le rugby n'était pas tellement connu par Pratab avant qu'il soit embauché à l'auberge de jeunesse. Il a découvert le rugby grâce au projet Jungle Crows Khelo Rugby.

« Je me souviens avoir vu un ballon de rugby dans le débarras et j'avais demandé à quoi ça servait. On m'a répondu que c'était pour jouer et que d'autres garçons, plus grands, y jouaient tous les samedis et j'ai eu envie d'aller voir », se souvient-il.

Sa curiosité a amené Pratab à s'investir à son tour et malgré son gabarit de joueur de poche, il s'est vite révélé essentiel sur le terrain. « La première fois qu'on m'a plaqué, j'ai tout de suite pensé : il faut que je plaque moi aussi », rigole-t-il.

Les origines du projet

Jungle Crows Khelo Rugby est partenaire de l'opération Spirit of Rugby de World Rugby. L'association a été créée il y a une quinzaine d'années par deux diplomates britanniques et un officier de l'immigration afin de venir en aide aux enfants défavorisés, d'améliorer leur quotidien grâce notamment au rugby et à ses valeurs.

« C'est une aventure extraordinaire », confie l'un des pères fondateurs, Paul Walsh. « On n'avait pas de plan bien défini au début, on voulait juste s'amuser. Et maintenant, on attire des milliers de jeunes chaque semaine. »

Calcutta possède pourtant une forte tradition de rugby. C'est l'une des villes de l'Inde qui dispose par exemple d'une vraie saison de rugby. Et grâce à la collaboration avec World Rugby et Rugby India, Khelo Rugby a réussi à transmettre la bonne parole du rugby grâce à son réseau d'entraîneurs aux quatre coins du pays.
Désormais Khelo s'active dans 35 endroits différents de Calcutta, ainsi que dans sept villages autour de Saraswatipur dans le nord-ouest du Bengal, dans neuf quartiers de Bengaluru et à Jharkhand. Gagner la confiance des anciens n'a pas été une mince affaire dans ces endroits reculés, mais avec des gens aussi motivés que Pratab, l'affaire était dans le sac.

« Au début, ils regardaient d'un drôle d’œil les garçons et les filles jouer ensemble au rugby et demandaient pourquoi ils devraient confier leurs enfants à des gens qu'ils ne connaissaient pas », se rappelle Pratab. « Mais dès lors qu'ils voyaient les gamins jouer et s'amuser, prendre de l'assurance et être en bonne santé, ils étaient de plus en plus intéressés. »

« Il y a beaucoup d'organisations caritatives qui vont et qui viennent ici et c'est pourquoi les parents peuvent être méfiants. Ça prend du temps de gagner leur confiance, il faut prendre du temps pour se connaître les uns les autres. Mais c'est plus facile quand tout commence avec un ballon de rugby », sourit Paul Walsh.

Un modèle fédérateur

Pratab est la parfaite incarnation du projet. Il entraîne aujourd'hui les enfants avec lesquels il partageait les conditions de vie difficile. En juin, il a eu l'honneur de vivre sa première sélection en remplaçant un ailier lors de la victoire 42-12 sur l'Indonésie.

Mais Pratab préfère jouer centre et il espère bien qu'on lui proposera d'autres sélections à l'avenir, lorsque la reprise se confirmera. En attendant, son plus grand désir est d'aider encore plus de jeunes à goûter la vie qu'il a appris à connaître.

« Chaque fois que je vois un enfant, je sais ce qu'il vit, combien sa vie est difficile parce que chaque fois je me revois à son âge. Ce n'est pas que moi ; tous les autres entraîneurs pensent pareil. Nous voulons les aider à grandir et les élever à notre niveau. »