Président emblématique de la Fédération Française de Rugby (FFR) de 1991 à 2008, Bernard Lapasset a également été président de l'International Rugby Board en 1995-1996, puis de 2008 à 2016 au moment où l'IRB est devenu World Rugby.

Le premier grand changement dans l'histoire du rugby a été le passage au professionnalisme au mitan des années 90. Le monde entier est concerné ; le passage va se faire plus vite que prévu.

Fin tacticien politique

« En 1995, le rugby était en plein changement », raconte-t-il. « Il y avait des rumeurs de système semi-professionnel, de joueurs qui étaient dans un système qui n'étaient plus celui de la fédération internationale qui, elle, relevait du secteur amateur, qui considérait le rugby amateur comme le sport qu'il fallait suivre.

"Nous étions à la croisée des chemins : comment transformer le rugby en lui gardant sa capacité à s'investir dans le futur, dans le monde professionnel tout en gardant ses valeurs et ses origines amateur."

Bernard Lapasset

« Nous étions donc à la croisée des chemins : comment transformer le rugby en lui gardant sa capacité à s'investir dans le futur, à investir dans le monde économique, dans le monde professionnel tout en gardant ses valeurs et ses origines amateur. C'est ce challenge là auquel j'ai du faire face. »

Clairement, il fallait être fin politique pour se sortir de ce challenge. « Il y avait deux hémisphères », se souvient Lapasset. « L'hémisphère Sud avait déjà pris le pas de devenir plus professionnel, de rentrer dans un système de contrats de joueurs. Et l'hémisphère Nord qui était resté dans une tradition plus de rugby amateur avec le Tournoi des V Nations à l'époque.

« Il a fallu travailler pour faire en sorte que le monde du rugby ne sorte pas déchiré, éclaté par un affrontement entre le Nord et le Sud, qu'on trouve un consensus pour devenir professionnel avec un même système qui soit respecté par chacun des joueurs, des clubs, des fédérations, au Nord comme au Sud. C'était ça le défi qu'il fallait relever. »

La Coupe du Monde de Rugby 1995

Il faut éviter une coupure trop nette entre le rugby professionnel marchand d'un côté et rugby amateur et non marchand de l'autre. Le moment le plus symbolique aura été au début de l'été 1995 et la Coupe du Monde de Rugby en Afrique du Sud, véritable tournant dans l'histoire, pour de multiples raisons. C'est en août suivant que la référence à l'amateurisme disparaîtra des statuts. Le rugby connaîtra, entre autres bouleversements, une explosion de son exposition : passant de 8h de diffusion à la TV en 1990 à 48h en 1997.

« C'était un moment historique. C'est aussi le moment où Nelson Mandela, après deux années de liberté, prend la responsabilité de conduire un changement total de politique et d'inclure le rugby comme sport majeur pour changer le pays. 'A rainbow competition for the rainbow nation'. Je crois que c'est un message extraordinaire qu'a donné Nelson Mandela pour le rugby. En l'espace de sept semaines, le rugby est devenu planétaire. C'est un rendez-vous avec l'histoire qui a marqué dès le départ un attachement fort aux valeurs du sport dans une société qui change », se rappelle Bernard Lapasset.

"1995 est un point de non retour quand on a participé à ce genre d'événement. C'est un événement inoubliable."

Bernard Lapasset

Près d'un quart de siècle plus tard, Lapasset semblait revivre les mêmes émotions lorsque, sur le pelouse de Yokohama, les Springboks de Siya Kolisi ont soulevé pour la troisième fois de leur histoire la Webb-Ellis Cup le 2 novembre 2019.

« 1995, c'était le point de départ extraordinaire d'une aventure pour le rugby, le rugby international », assurait l'ancien président au lendemain de la finale de la Coupe du Monde de Rugby 2019 au Japon. « C'est un point de non retour quand on a participé à ce genre d'événement. C'est un événement inoubliable. Ça reste tellement frais, inscrit dans l'histoire et dans chacun d'entre nous.

« Hier on était dans un moment qui a fait revivre 1995 avec les à-coups du monde d'aujourd'hui. Hier, on a ressenti quelque chose de façon très fraîche, de façon très nuancée qu'on était encore dans une histoire très vivante, très ouverte. Et de voir l'équipe sud-africaine se démultiplier sur le terrain, j'ai pensé tout de suite à voir les moments où Nelson Mandela lui-même venait sur le terrain s'attirer l'expression d'un joueur, l'expression d'un jeu. C'était quelque chose de fabuleux. Hier j'ai cru revivre ces moments-là. J'ai vu revivre un homme qui avait vécu des conditions très fortes, très difficiles et qui aujourd'hui est encore là. »