Marjorie Enya est une femme très occupée. Depuis qu'elle a appris au mois de mai dernier qu'elle recevrait une Bourse de développement du leadership féminin octroyée par World Rugby, la Brésilienne a fait le déplacement à San Francisco pour travailler à la Coupe du Monde de Rugby à VII et le mois dernier à Buenos Aires à l'occasion d'un forum en marge des Jeux Olympiques de la Jeunesse.

Elle a dû jongler entre ces engagements, son travail au sein du Groupe de Recherche Olympique basé à l'université de Sao Paulo et ses activités avec le Comité Développement de la Confederação Brasileira de Rugby (CBRu) où elle est la première femme élue au conseil d'administration.

Depuis son retour d'Argentine, elle a pris le temps de se poser, de se concentrer sur les activités qu'elle pourrait développer avec sa Bourse, en lien avec son mentor Sue Day – responsable financier à la Rugby Football Union (RFU) – et la responsable du rugby féminin à World Rugby Katie Sadleir.

« Je vais me concentrer sur le développement social à travers le rugby, ce qui est en harmonie avec mes valeurs et possiblement un bon moyen de développer le rugby féminin dans la région », explique Marjorie Enya.

« Je me suis inscrite à un Master en stratégie d'impact social à l'université de Pennsylvanie et je vais participer à un programme de management social en novembre afin d'améliorer ma connaissance que j'ai déjà grâce à mon MBA en Project Management. »

La Brésilienne d'origine a de grandes ambitions à accomplir en Amérique du Sud grâce à l'aide apportée par World Rugby. « Quand il est question de leadership, d'ouvrir un espace au niveau du conseil d'adminsitration pour les femmes, c'est quelque chose dont personne ne parle », admet Marjorie qui participera également à une conférence sur les femmes dans le rugby au mois de décembre aux USA.

Son plus grand défi

« Je pense que c'est tout à l'honneur de World Rugby de dévier de ce chemin, d'en faire un exemple et de dire que c'est possible et que nous allons le faire. Je suis persuadée que ça va arriver avec des résultats extraordinaires. Je pense que le défi pour l'Amérique du Sud, ce sur quoi je vais travailler plus directement, n'est pas tant l'accès, mais sur l'inégalité en termes de fonds et d'attention accordés au rugby féminin.

« Je m'en suis aperçu au regard de la taille de notre fédération. Tout l'argent qui arrive a déjà un fléchage tout tracé. Ce n'est pas que c'est bien ou que c'est mal, c'est comme ça. Et comme le rugby féminin est relativement nouveau dans l'histoire, il est difficile d'avoir plus d'argent car nous sommes les derniers arrivés.

« Pour moi, le plus gros challenge sera de trouver d'autres voies de financement et ne pas me contenter des miettes que l'on a déjà. »

Marjorie Enya a été attirée vers le rugby par relation. Elle a commencé à jouer au collège, puis en club avant de rejoindre le Sao Paulo Athletic Club (SPAC). Très vite, elle a reconnu qu'elle ne pourrait pas aller bien haut et a décidé de se réorienter vers un aspect plus administratif.

Elle a la culture rugby

« Grâce au rugby, j'ai rencontré les femmes les plus extraordinaires que j'ai jamais rencontré », dit-elle. « Mais grâce à ou à cause de mon incapacité à jouer, j'ai décidé de rester dans la partie, mais sans être sur le terrain, là où il y avait aussi pas mal d'opportunités aussi. Je me suis dit : regarde, tu ne vas pas pouvoir être au niveau, mais tu peux aider d'une autre façon. »

Enya a commencé à faire du bénévolat, à monter progressivement les échelons de la Confederação Brasileira de Rugby (CBRu) où elle est devenue team manager pour l'équipe nationale féminine.

« J'ai survolé un peu tout le processus sans avoir joué au haut niveau du tout », admet-elle. « Pour le bien de mon équipe, je n'ai jamais joué au haut niveau ! 

« J'ai vu ce que le rugby peut apporter aux femmes. J'ai vu le niveau de confiance, de solidarité, d'amitié, de loyauté et tout un tas d'autres choses. Je n'avais rien vu de tel avant le rugby.

« Au début, vous pensez que ce n'est qu'à l'échelle d'un club ou d'un groupe d'amis, mais plus vous connaissez de monde dans le rugby, plus vous réalisez que c'est une composante de ce sport, que ça fait partie de sa culture.

« Et c'est ce qui me motive. On pense trop souvent que tout le monde sait, que ça va rouler tout seul, mais je suis convaincue que l'on n'y pense pas assez et, surtout, pas assez sérieusement. »

Son ambition de développer le rugby sur tout le continent, comme elle souhaite le faire grâce à sa Bourse, est un point qui a retenu l'attention de l'ancienne capitaine de l'Angleterre, Sue Day. « Elle m'a dit que j'avais la passion, que je voulais aider à faire grandir le rugby et quel que soit le résultat, il ne sera que positif pour le rugby féminin », raconte Marjorie Enya. « C'est complètement différent que de développer le rugby en Europe, en Océanie ou même en Amérique du Nord. Lorsque vous arrivez en Amérique du Sud, il y a un environnement socio-économique totalement différent et une incompréhension sur ce que les femmes doivent faire et comment ça peut se traduire par de la violence ou d'autres choses. »

Que l'Amérique du Sud soit mieux représentée

Marjorie Enya est convaincue que le rugby féminin peut conduire à des changements d'ordre sociétaux. « J'ai observé que le rugby pouvait créer une environnement sain pour que les débats se fassent de manière apaisée et bienveillante », assure-t-elle.

Le Mexique a participé au premier tournoi de la saison 2019 du HSBC World Rugby Women’s Sevens Series à Glendale, USA, en octobre, mais en général, les pays d'Amérique Centrale et d'Amérique du Sud n'ont pas toujours l'occasion de disputer des compétitions féminines internationales.

« L'Amérique du Sud est la seule région où il n'y a jamais eu de Coupe du Monde de Rugby Féminin. Nous sommes sous-représentés dans les grands événements », constate Marjorie Enya. « C'est ce genre de choses qui fait que nous nous sentons isolés ici. 

« J'aimerais bien voir une équipe d'Amérique du Sud – de préférence le Brésil, bien sûr – jouer en Coupe du Monde de Rugby ; j'adorerais que l'on atteigne le niveau pour faire partie du noyau dur du circuit mondial féminin.

« Il y a tant de choses à faire pour développer le haut niveau, mais avant tout ce serait déjà super si les filles et les femmes de la région pouvaient connaître le rugby et tout ce qu'il peut apporter. Bien sûr, c'est important de construire une équipe nationale performante, d'avoir des clubs de haut niveau... mais faire grandir le rugby féminin ne doit pas être uniquement ce côté visible de l'iceberg ou tout ce qui fait les gros titres. C'est une question de durabilité, c'est rendre le rugby accessible, sûr et séduisant pour les filles. »