Le commentateur et ancien international de Rugby à 7 Jean-Baptiste Gobelet revient en exclusivité pour World Rugby sur les 7 points à retenir du tournoi de Sydney qui a vu l'Australie remporter son tournoi domestique et la France repartir avec le Trophy pour la deuxième fois depuis le début de la saison.

1. L'Australie, boostée par la performance des filles

« Ce qui me plaît dans l'équipe d'Australie, c'est surtout l'éclosion des jeunes talents qui arrivent sur le World Series .
Il y a un excellent mix entre la jeunesse et l'expérience. Côté expérience, Le retour de Lewis Holland, après un an de blessure, a pesé dans la balance avec un James Stannard de gala. Et que dire des prestations XXL Ben O'Donnell, Lachie Anderson, Tim Anstee, Porch... 

"Je pense que la force des hommes a été amenée par la performance des filles."

« Il faut se rappeler qu'à Rio ils avaient été battus par la France et qu'il y avait eu une hécatombe de blessés a ce moment-là ! Le projet d'Andy Friend à la tête de la sélection est un plus. Il y a une transversalité sur leurs systèmes de jeu entre le féminin et le masculin qui nourrit chaque catégorie. Cette année 2018 est essentielle pour l’Australie. En plus d’être une année RWC, c’est surtout une année où elle reçoit les jeux du Commonwealth sur la GoldCoast.

« La performance des Australiennes est à noter car elle est historique, les championnes olympiques n'ont concédé aucun point sur le Sydney7s s’offrant même le luxe d’atomiser les championnes du monde néo-zélandaises en finale. Je pense que la force des hommes a été amenée par la performance des filles. Ça a donné une énergie massive à l'équipe masculine.

« Ce tournoi de Sydney, c'était de la réussite pure. Les joueurs ont tenté des choses et tout passé. Sur une finale, ils ont laminé les Sud-Africains (0-29 en finale du tournoi, ndlr). En terme de stratégie, leur force réside dans la capacité de vite venir au soutien et d’assurer la continuité du ballon. Ils peuvent se permettre de faire des rucks car ils ont une hyper compétence dans ce domaine ,deux fois plus de rucks que tout le monde (81). C'est une équipe qui maîtrise l'art du combat au sol. Il y a très peu de turnovers côté australien : +10 avec 13 ballons gagnés et seulement trois ballons perdus. Ils ont été très performants sur la phase de grattage et la phase de conservation. »

2. L'Afrique du Sud, victime de l'émergence d'un Top 7 performant

« Quand on voit lors de la finale Neil Powell abasourdi à la mi-temps aller voir ses joueurs et leur expliquer comment se positionner sur un coup d'envoi et arrêter les Australiens, on sent un manque de sérénité complet chez les Sud-Africains alors que chez les Australiens il y avait une forme d'ultra-performance...

"Actuellement, c'est plus l'émergence d'un Top 7 qui est en train d'arriver..."

« Ce n'est pas forcément un déclin de l'Afrique du Sud, elle n'a pas démérité. Actuellement, c'est plus l'émergence d'un Top 7 qui est en train d'arriver avec les équipes du Top 4 initial et le rajout des USA, de l'Australie et de l'Argentine. Au début, ce Top 4 était au-dessus par rapport à tout le monde et maintenant il se fait rattraper – en termes de physique et de jeu – par ces équipes-là qui adoptent un schéma de jeu qui diffère du leur.

« L'Afrique du Sud veut faire évoluer son jeu. Powell réfléchit à un changement de système en prenant des joueurs avec d'autres profils. Ça va être intéressant de voir comment l'Afrique du Sud va pouvoir rivaliser. On voit l'Afrique du Sud chahutée dans ses matches ; la pression est plus intense. On a vu les Sud-Africains en danger notamment face aux USA (7-35 en demi-finale de Cup, ndlr). Ils ont eu un tournoi très intense. »

3. L'Argentine et les armes du XV

« L'Argentine (4e mondial, ndlr) est une équipe qui est intéressante à analyser. Elle a un profil très jeune (171 sélections, ndlr) avec des joueurs qui vont intégrer les provinces du Super Rugby et des Pumas dans les années à venir. Il y a une volonté de mettre en place des passerelles sportives et des laboratoires pour se former le plus vite possible au plus haut niveau. Le fait de pouvoir performer en Cup montre une qualité en termes de stratégie et de jeu intéressante.

"Il y a une volonté de s'inspirer du XV pour pouvoir contrer des équipes de rugby à 7..."

« Il n'y a pas vraiment de volonté de jouer typiquement au 7, mais une volonté de s'inspirer du XV pour pouvoir contrer des équipes de rugby à 7. C'est un jeu où il y a beaucoup de ballons avec des structures très quinzistes comme des passages à vide. C'est très rare dans le rugby à 7, mais ça chamboule les défenses adverses qui sont obligées de s'adapter. Ça provoque beaucoup de cassures et l'Argentine profite de ce système fait de nouveauté, de créativité.

« C'est aussi une équipe qui joue beaucoup au pied. Ils font environ 15 coups de pied par tournoi (2,5 par match) et sont suivis par la France (13), les Blacks (12) et l'Afrique du Sud (11) pour faire reculer l'adversaire. Ils vont être très actifs défensivement, mais dès qu'ils ont le ballon, ils vont se servir de ce jeu au pied pour pouvoir essayer de mettre l'adversaire sous pression.

« C'est une équipe très homogène autour de Franco Sabato et Gaton Revol. Et autour de ces deux playmakers, on peut mettre n'importe quel Argentin, l'équipe réussira à performer, comme d'habitude. Avant, ils étaient à deux rucks par essai et aujourd'hui ils en sont à quatre : ils sont sûrs de leur force et de leurs soutiens. C'est une équipe très forte au niveau du contact et du jeu au sol. »

4. Les Fidji victime de son jeu

« Est-ce que les Fidji (5e mondial) ont la capacité de gagner la Coupe du Monde à San Francisco ? C'est la question qui se pose. Les résultats sont assez inquiétants. Il y a une génération très douée dans le rugby à 7 avec Tuwai,Nasilasila, Kunavula... Ce n'est pas un problème de manque de joueurs. Selon moi, ça s'explique non seulement par l'émergence de ce Top 7, mais aussi par tous ces défauts – discipline, fautes de mains – qui ne trouvent pas de solution.

"En face les défenses sont maintenant au courant de ce qu'il se passe. Il n'y a plus de surprise."

« En face, les défenses mettent plus de pressions sur les playmakers qui déjouent en tentant du jeu au pied assez inhabituelles. Les Fidji ne sont plus maîtres sur le circuit plus de deux ans. C'est l'équipe qui fait le plus d'erreurs de main sur le circuit : 31 en six matches, ce qui est énorme par rapport à leur niveau. Ce n'est pas si grave, mais lorsque ça implique derrière une mêlée ou une pénalité, c'est plus compliqué. En ce qui concerne les pénalités, il y a 20 ballons de différence entre ce qu'ils prennent (34) et ce qu'ils reçoivent (53), ce qui fait qu'ils ne peuvent performer sur le très haut niveau. Il y a trop d'erreurs.

« En termes de jeu on s'en remet beaucoup à Tuwai et à Nasilasila pour créer des brèches, mais en face les défenses mettent la pression sur ces joueurs la. On verra sur le tournoi d'Hamilton comment ça se passera. Ben Ryan avait réussi à canaliser le jeu Fidjien avec la discipline et la patience. Gareth Baber a beaucoup plus de difficultés. A quelques mois de la RWC il y a un besoin vital de performer côté fijien. »

5. Les USA derrière Perry Baker

« Le retour de Perry Baker a été exceptionnel, même si ça montre que c'est une équipe très dépendante de son meilleur joueur. On a vu qu'ils se faisaient surprendre par l'Australie sur le premier match où ils perdent à la dernière seconde (19-26). Mais au premier jour de poule, l'équipe a montré un bon niveau. Contre l'Afrique du Sud, s'ils ne prennent pas deux cartons jaunes en quart, ils ne sont pas loin de taper des Sud-Africains.

"Quand on sait que le pourcentage moyen est de 16% et que les USA récupèrent un ballon sur deux, c'est incroyable."

« Ils ont eu 52% des coups d'envoi récupérés (la France arrive en 2e position avec 27%, ndlr). Quand on sait que le pourcentage moyen est de 16% et que les USA récupèrent un ballon sur deux, c'est incroyable. C'est la seule équipe qui est capable de faire ça.

« C'est un des meilleurs line-up du monde mais le banc n'est pas à la hauteur des ambitions affichées. L'entraîneur Mike Friday fait très peu tourner depuis les JO et on le ressent quand l’équipe subit des blessures ou lorsqu'elle elle a besoin de joueurs frais. C’est le gros point noir des USA, le banc manque d'expérience sur le World Series. Le choix de Mike Friday peut s’avérer compliqué si il perd des joueurs majeurs sur la durée comme Madison Hughes. Et pourtant, paradoxalement le réservoir américain est énorme. »

6. La Nouvelle-Zélande a les crocs

« On a vu un Tim Mikkelson de gala qui a retrouvé ses pattes du World Series 2012-2013. Il a fait tous les matches et est peu sorti. La Nouvelle-Zélande (2e mondial, mais 5e à Sydney) avait une équipe qui tenait la route avec Curry, Dickson, Baker, Koroi... C'est l'équipe qui fait le moins d'erreurs par match depuis le début de la saison (40 en 18 matches, soit une moyenne de 2,2 par rencontre).

"La Nouvelle-Zélande va pouvoir revenir à Hamilton..."

« Ils ont été mangés par l'Australie en quart (24-12), mais ils vont pouvoir revenir notamment à Hamilton et monter leurs crocs. »

7. La France sauve les meubles comme à Dubaï

« La France réalise une dernière journée avec le minimum syndical pour un Trophy, c'est à dire la victoire.
Elle se doit d’être plus appliquée face aux nations de second tableau et d'imposer son rythme, pas de suivre le rythme de l’adversaire.
Il y a un Top 7 mondial qui se détache actuellement et la France est un cran en dessous. Elle devra se battre pour garder cette place de 8e avec le Kenya, le Canada et l'Ecosse durant cette saison. C'est pour moi le challenge le plus important pour bâtir après.
On a beaucoup de joueurs qui ont de l'expérience sur le papier et cette victoire dans le Trophy permet à l’équipe de prendre de la confiance mais malheureusement pas d'expérience de playoffs de Cup vital pour les événements majeurs. 20 tournois de Trophy ne peut être égal à 20 tournois de Cup en terme d’expérience. La France a joué sans forcer son niveau face à la Russie, à l'Espagne, au Pays de Galles.

"La France est une équipe qui prend de la confiance avec le Trophy, mais pas d'expérience..."

« Défensivement, la France a impressionné face aux Gallois pour sombrer après face aux Kényans et Argentins. Leurs système défensif est beaucoup plus précis avec des montées fortes mais beaucoup trop de joueurs ont péchés dans le plaquage individuel et le replacement pour permettre à l’équipe d’accéder à la Cup. Offensivement, elle a montré des qualités énormes en animant au milieu du terrain et en jouant un jeu debout ultra efficace grâce aux offloads.

Côté playmaker, Jean-Pascal Barraque, Paulin Riva et Demai-Hamecher qui joue très juste à chaque sortie en aspirant deux défenseurs. Veredamu était branché sur courant alternatif avec des prestations de grandes qualités. Le meilleur joueur français fut sans conteste Sacha Valleau qui a été omniprésent sur le Sydney Sevens, au soutien comme ballon en main il apporte beaucoup à son équipe. Une pièce maîtresse dans le jeu aérien.

Les Français ont fait leur meilleur tournoi en termes de coups d'envoi : 27% de ballons récupérés alors qu'ils sont à 15% depuis le début de la saison. C'est leur meilleur ratio depuis deux ans ! C'est la bonne nouvelle du week-end côté français.

Par contre côté stats, la France figure dans le Top 3 des équipes qui ont commis le plus de fautes de main : +27. Elle a fait tombé trois fois plus de ballons que la Nouvelle-Zélande (+12). Trop d’imprécisions, qui montre la différence entre le Top 7 mondial et la France .. »